Alger, bien avant les attentats, a connu une période très éloignée de la violence terroriste. Une période de plaisirs, de créations, d’initiatives en tous genres. On admirait les affiches collées dans le hall de la Cinémathèque et le programme s’annonçait à grands coups de rétrospectives: Wenders, Godard, Kontchalovski, Salah Abou Saif… Le malaise n’avait pas encore atteint le secteur du cinéma national et beaucoup de cinéastes tournaient sans être obligés de mendier Mohammed Slim Riad dirigeait l’ONCIC. La télévision empilait partout les bobines sans souci de dépasser les budgets. L’argent coulait généreusement au département de la production d’Ahmed Bedjaoui pour Youcef Chahine, Farouk Beloufa, Assia Djebar, Mohammed, Ifticène, Moussa Haddad, Abdelatif Benamar, Lamine Merbah… Et comme une ultime création de cette époque-là (fin des années 70): la Revue 2 Ecrans, une extension directe de l’effervescence qui régnait à la télévision dirigée par Abderrahmane Laghouati. Les 2 Ecrans, c’était un défi, mais en même temps quelque chose de normal dans le contexte culturel de l’époque. On écrivait tout à la fois sur le cinéma et la télévision. On couvrait les festivals de Nantes, de Carthage et de Ouagadougou. Notre local se résumait à l’essentiel. Un bureau où Abdou B., rédacteur en chef, montait une garde débonnaire. Lieu de réunion, de rencontre où l’on brassait les nouvelles, les idées et parfois les scoops… Là, il y a avait un défilé continuel d’amis débarqués de France et d’ailleurs. Juste à côté, dans un petit bureau, trônait l’inoubliable Mouny Berrah, journaliste aujourd’hui disparu et qui suscitait chaque jour notre admiration. Un ou deux autres rédacteurs côtoyaient un peu plus loin Mohammed Chouli, le secrétaire général de la rédaction, qui bondissait d’une table à l’autre soucieux de nous faire achever le travail dans les délais. Chaque mois, on passait à l’acte. Les rédacteurs de la revue s’entendaient à merveille avec au moins deux personnages très algérois (et qui leur fournissaient matière à articles), L’un montrait comme une faveur suprême les productions nationales à peine achevées. L’autre avait la haute main sur la “commission de visionnage” de la télévision visionnant tous les programmes avant leur passage à l’antenne. On ne se privait pas de passer des journées entières chez l’un et l’autre. Et toutes ces heures de visionnage laissaient leur empreinte dans le numéro en préparation des 2 Ecrans.
Azzedine Mabrouki