Parodiant les manières et la déontologie douteuses de documentaires prétendant dénoncer les conditions de vie des populations misérables, Luis Ospina et Carlos Mayolo – figures de mouvement du « Tiers cinéma latino-américain »- interrogent les représentations véhiculées par ce qu’ils nomment le « Porno-miseria ».
Manifeste écrit par les réalisateurs lors de la sortie du film :
« Le cinéma colombien indépendant a eu deux origines. Une première qui visait à interpréter ou à analyser la réalité et une deuxième qui découvrait, à l’intérieur même de cette réalité, des éléments anthropologiques et culturels afin de la transformer. Au début des années 1970, avec la loi de soutien au cinéma, un certain type de documentaire est apparu, qui copiait superficiellement les réalisations et les méthodes des cinémas indépendants jusqu’à les dénaturer. Ainsi, la misère est devenue un thème choquant, une marchandise facile à vendre, à l’étranger en particulier, où la misère est la contrepartie de l’opulence des consommateurs. Si la misère avait servi d’élément de dénonciation et d’analyse pour les cinémas indépendants, l’appât du gain n’offrait pas une méthode susceptible de découvrir de nouvelles prémisses pour analyser la pauvreté. Bien au contraire, ce nouveau cinéma indépendant et misérabiliste a créé des schémas démagogiques jusqu’à devenir un genre que l’on pourrait appeler la porno-misère.
Ces déformations ont entraîné le cinéma colombien vers une voie dangereuse car la misère était présentée comme un spectacle de plus, où le spectateur pouvait laver sa mauvaise conscience, s’émouvoir et se rassurer. Nous avons fait Agarrando pueblo (Duper le peuple) comme une sorte d’antidote ou de bain maïakovskien à l’adresse des spectateurs. Nous voulions montrer au public l’exploitation que l’on trouve dans ce cinéma misérabiliste, capable de faire de l’être humain un objet, quelque chose d’étranger à sa propre condition. »
Luis Ospina et Carlos Mayolo (1978)