Vingt et une années ont passé entre Casa de Lava, le second long-métrage de Pedro Costa, et Cavalo Dinheiro, le neuvième et le plus récent de ses films. Deux décennies au cours desquelles son cinéma prolonge et réinvente à chaque étape une geste qui s’insinue dans le hors-champ présent de la réalité post-coloniale du Portugal. Le passé n’est jamais vraiment passé, il est seulement devenu autre. S’éloignant des paysages du Cap-Vert, le cinéaste portugais a retrouvé ses descendants parmi les fils et les filles du quartier lisboète de Fontaínhas (aujourd’hui détruit) et, graduellement, a engagé avec eux et d’autres non-professionnels, une des plus intransigeantes et libres expériences du cinéma contemporain. Forgeant ensemble les moyens de faire œuvre de ce qui reste, les films donnent corps aux récits et à l’imaginaire de ce peuple sans regard, de sous-prolétaires, de relégués. Depuis En avant jeunesse (2006), ces récits ont leur étendard, leur veilleur de chair et d’os, leur mémoire, en la personne de Ventura. C’est en toute logique que dans Cavalo Dinheiro, à la veille de la Révolution des Œillets, on se lance, inquiet de l’avoir vu disparaître, à sa recherche. Blessé dans une rixe, il se perd on ne sait où entre une forêt et les vagues de sa mémoire. Nous le suivrons entre les briques et le mortier dans un labyrinthe d’escaliers et de couloirs, parmi les soldats et les « chaimites », les morts et leurs fantômes dans ce qui ressemble autant à un chantier qu’à une administration et un hôpital. Comme dans L’Année dernière à Marienbad d’Alain Resnais, il appartiendra à chacun de retrouver ses coordonnées. Celles du film de Pedro Costa pourraient bien avoir pour points cardinaux Brecht, Beckett, Tourneur et Le Caravage. AR & JB
Sortie française : 15 juin 2022