Depuis son bureau en sous-sol, le juge Constantino Zegarra a l’habitude de statuer sur la culpabilité de ses interlocuteurs. Mais dès lors qu’une balle de revolver lui perfore les cordes vocales, son silence succède à la parole performative de sa fonction. Est-ce une balle perdue comme le soutient la police, ou un attentat concerté comme il s’entête à le prouver seul contre tous ? Le malaise diffus que le récit installe quant à son statut de victime de la corruption interroge sans lourdeur l’état des institutions péruviennes.
Comme ils le faisaient déjà avec le personnage taiseux d’Octubre, Daniel et Diego Vega embrassent avec une jubilation certaine la contrainte de mise en scène qu’impose un personnage quasiment muet. Ils relatent ainsi, par petites touches, la façon dont un homme qui, faute de changer le régime, change de régime : les gestes que Zegarra va substituer à sa voix défaillante et à son éloignement tant du judiciaire que de la vérité de l’enquête, engendre un insensible mais progressif rapprochement des siens. Entrelaçant l’enquête et chronique du quotidien, El mudo utilise le genre policier pour revivifier ce qui apparaît généralement comme une absence de genre – le portrait. Celui d’un homme qui avait oublié ce que parler veut dire.
C. G.