Comme les personnages des cinéastes chinois Wang Bing et Jia Zhangke, ceux de Gesher vivent dans les marges d’une industrie aussi nourricière que destructrice : venus profiter des richesses de la ville riche en gaz naturel d’Oslouyeh, Ghobad, Jahan et Nezam ont désormais pour tout domicile les énormes pipelines qui bordent les usines. Les seuls jobs qu’ils ont pu décrocher les montrent en prise, d’une manière ou d’une autre, à des tuyaux qui dysfonctionnent : ceux de la raffinerie que doit escalader Ghobad à ses risques et périls, celui d’un air conditionné défaillant dans le taxi brinquebalant de Jahan ou ceux, bouchés par les excréments, que Nezam doit désencrasser pour gagner sa vie. Avec un humour pince-sans-rire et un sens du paysage remarquable, le tout jeune Vahid Vakili Far s’inscrit dans la lignée de Mohammad Rassoulof (ici producteur), dont l’impressionnant La Vie sur l’eau (2005) se passait sur un immense cargo rouillé abandonné en pleine mer. Un sac plastique plein d’argent planté en haut d’une butte, un ours en peluche au ventre farci de billets : confié à Jafar Panahi, le montage de Gesher, riche en images indélébiles, tresse avec le quotidien de ces hommes une trame aussi elliptique que surprenante, entre débrouille et désespoir. CG