Nihat, aide-cuisinier d’âge mur, a une vie sociale aussi routinière que sa vie professionnelle. Les virées nocturnes avec ses collègues le tirent à peine de sa torpeur de vieux garçon casanier. Pourtant tout le monde l’assure qu’une collègue dont le mari croupit en prison lui fait les yeux doux…
Ouvert sur un plan à la lisière du fantastique, le récit circulaire déroule une série de glissements qui transforme l’indifférence en désir, l’image de soi en image d’un autre. La mise en scène porte l’empreinte de la triple formation artistique du cinéaste, également peintre et romancier : c’est dans la durée que la composition d’un plan advient, de même que Nihat, qui en apparence se laisse vivre sans prendre aucune initiative, passe d’une identité à une autre à partir des attentes et des projections de son entourage. Si Je ne suis pas lui ne se glisse jamais dans les codes du thriller, il distille une inquiétude sourde, centrée autour de ce que le regard peut faire exister socialement. Les objets quotidiens – un tas de pommes-de-terre à éplucher, une paire de pantoufles au pied du lit, un maillot de bain à motifs – disent en creux la menace latente d’objectification de l’humain par lui-même.
C.G.