L’Arbre sans fruit

Célibataire sans enfant, Aïcha fait figure de femme originale dans la société nigérienne, qui prône la procréation et la féminité par le statut marital. L’originalité d’Aïcha s’affiche encore un peu plus quand, pour regarder dans les yeux cette société dirigiste, elle saisit une caméra et décide de faire de son statut l’objet de son film. Loin d’une complainte personnelle ou d’une autofiction que l’intimité du sujet pourrait désigner facilement, la jeune réalisatrice nigérienne s’interroge elle-même sur la place des femmes de son pays en leur donnant la parole. Derrière ces femmes, qu’Aïcha Macky regarde tantôt avec envie, tantôt avec amertume, la réalisatrice retrouve celle qui hante sa problématique féminine : sa mère morte en couche alors qu’elle la mettait au monde. D’une parole intime et familiale s’élèvent des voix et des histoires qui dessinent peu à peu un hors champ sociétal émouvant et révoltant. Sans défiance ni colère, profondément respectueuse de celles qu’elle filme, Aïcha Macky administre en douceur un uppercut sourd et profond aux consciences religieuses et traditionnelles. Elle le signe définitivement en recourant à des plans itératifs face-caméra se coiffant délicatement du voile obligatoire. L’antagonisme du ton engagé et de la générosité de la réalisatrice face à celles qu’elle a envie de faire réagir est l’endroit de la réussite de ce film doux amer, passionnant et finalement trop court. L’image de Julien Bossé, autre atout de la délicatesse et de l’inventivité du film, est remarquable. GM