Immédiatement, ce qui sidère, c’est la logique avec laquelle il vient se placer exactement à la suite des précédents. Àla toute fin des années cinquante, victimes des purges anti-droitières qui toucheront plusieurs centaines de milliers d’individus en Chine, des hommes, pour beaucoup des intellectuels, sont déportés au camp de rééducation de Jiabiangou dans le désert de Gobi. Fondé sur des témoignages de survivants que le cinéaste a rassemblés ou recueillis (dont le livre de Yang Xianhui), le film raconte les conditions inhumaines de leur détention. En choisissant la fiction, Wang Bing dit son ambition de témoigner d’une page de l’histoire chinoise tenue sous silence auprès d’une audience élargie. Mais il se retrouve du même coup contraint à la clandestinité pour ce projet qu’il prépare de longue date. Ces conditions particulières semblent guider le film vers une forme qui l’amalgame entièrement à son sujet. La parole révélée d’He Fenming et le taciturne homme sans nom annonçaient déjà l’existence d’un fossé dans le désert, la réécriture d’une page aveugle du roman national que l’oeuvre de Wang Bing poursuit d’édifier. JB