Hsiao Kang est homme-sandwich dans les rues de Taipei. Ironie cruelle que de faire la publicité de luxueux complexes immobiliers pour cet homme sans toit qui survit avec ses deux enfants dans des ruines de béton. Procédant par blocs qui ne sont qu’en apparence narratifs, Tsai Ming-liang retrouve ses quatre acteurs fétiches pour ce qu’il annonce comme son dernier film. Hanté par une peinture murale trouvée par hasard lors de repérages, Les chiens errants offre un puissant condensé visuel de son cinéma, presque une installation plastique. Jamais ses plans n’auront été aussi riches visuellement, aussi vibrants de leur hors-champ. Béton et verdure : le décor, alternativement aseptisé, décrépit et luxuriant, résume le paradoxe du Taiwan contemporain– les ruines du capitalisme aux abords immédiats de la ville. Mais la durée que lui confère Tsai lui donne aussi force de mythe. Cette maîtrise presque picturale est en permanence contrebalancée par le traitement de la lumière naturelle et l’intégration de sons d’ambiance subtilement dosés par Tu Duu-chih. Hommage avoué à La Nuit du chasseur, Les chiens errants livre surtout un émouvant portrait de Lee Kang Sheng, l’acteur que Tsai filme depuis vingt ans et qui, pour la première fois, joue un père.
C.G.