Yusuf et sa mère Zehra vive dans une modeste ferme à la lisière d’une petite ville de province dont la principale activité est minière. Après avoir échoué à l’examen d’entrée à l’université, le jeune homme consacre son temps à l’écriture de poèmes qu’il espère voir publier, et seconde sa mère dans la fabrication de fromages qui assurent les revenus de la famille depuis la disparition du père. Süt constitue le second volet de la trilogie de Yusuf à la suite de Yumurta (Egg) présenté en cérémonie de clôture de la 29ème édition du Festival des 3 Continents. Dans une forme épurée désormais caractéristique, le film de Semih Kaplanoglu opère comme un rituel primitif dont la troublante séquence inaugurale pourrait être l’allégorie. Souvent, les personnages du cinéaste turque sont peu bavards, leur géographie intérieure paraît aussi hésitante qu’elle nous demeure, en partie, inaccessible. C’est autour de cette énigme, de cette frontière indistincte, que le récit circule et creuse son sillon entre des gestes ténus et des regards appuyés. Entre Yusuf, le jeune poète contraint par les limites d’une existence sans éclat, et sa mère Zehra, habitée par les valeurs d’un ordre ancien désormais restituée à elle-même par la naissance d’un nouvel amour pour un chef de gare, chaque être est comme un monde à la recherche de sa propre loi. En attendant de voir le bon train entrer en gare, chaque personnage devient le spectateur de l’autre. On épie, on guette, on scrute, sans vice. Quoi ? Le moment de ce passage, chez l’autre, d’un état de lui-même à un mouvement déterminé vers le monde : dessin d’un possible à portée de regard ou de bras, et sans doute, image d’une Turquie contemporaine à la recherche de sa propre définition. Pas étonnant dès lors que le film défie les évidences et les émotions toutes faites.
Jérôme Baron
