Dans Notre Musique, Jean-Luc Godard montre deux photographies représentant chacune un groupe distinct d’hommes, les pieds dans l’eau. Sur la première, il reconnaît des Juifs entrant dans Israël, allant vers la fiction. Sur l’autre, qu’il présente comme son contrechamp, des Palestiniens rejetés vers la mer, entrant dans le documentaire. De l’écriture mélancolique et documentaire de Port of Memory, nous dirons qu’elle dialogue de l’intérieur avec ce mur de la fiction décrit par Godard. Les restes de la ville historique de Jaffa évidée et recouverte par l’ombre grandissante de Tel Aviv (souvenons-nous le dernier plan de Closure d’Anat Even présenté en compétition l’an passé) se réduisent à quelques maisons murées promises à une démolition prochaine, à des avis d’expropriation placardés sur les portes, à quelques chats errants, à des clients de café fantomatiques. En attendant leur expulsion, seuls les gestes d’une vielle femme malade et de sa fille portent la marque rituelle de leur appartenance à ces lieux lorsqu’une équipe de la télévision israélienne s’y introduit pour répéter d’autres scènes. Toute intention de révolte paraît étouffée par l’absurdité qui sourd du film : peut-on être en même temps présent et absent ? La réponse nous sera donnée dans une fiction et chantée en hébreu dans un film israélien tourné dans les rues de Jaffa en 1973. Simple ironie de contrechamp ? JB