Le film trouve son origine dans une histoire présentée comme réellement vécue par Jean-Noël Picq, un ami de Jean Eustache, qui avait accidentellement découvert l’existence d’un étrange rituel dans les toilettes d’un café parisien de la Motte-Picquet Grenelle. Un trou placé au bas de la porte des toilettes des dames permettait aux hommes d’observer le sexe des femmes qui s’y rendaient. Deux fois, un homme (Mickaël Lonsdale dans la fiction, Jean-Noël Picq lui-même dans le document) fait, dans les mêmes termes exactement et dans des conditions quasiment identiques, le récit de cette expérience scandaleuse. La puissance de fiction de la parole confère à ces deux et mêmes récits une irréductible valeur d’œ uvre. En l’absence d’images qui montreraient le lieu ou l’action, c’est bien le trouble particulier que sa transmission génère qui permet de mesurer sa force de vérité au sens philosophique et esthétique du terme. Devant les auditeurs rassemblés, le voyeur se fait homme public, la parole se donne en spectacle. Et c’est bien à la nature de la singulière transposition du monde que le cinéma rend possible que nous renvoie les deux films dans leur succession, et leur inversion d’abord la fiction ensuite le document.
«Cette sale histoire, je voulais la faire depuis des années et je cherchais des biais pour la faire. D’abord, je pensais la mettre dans un long-métrage, en faire une digression (…) Ensuite, j’ai pensé : «Ce qui est intéressant dans cette histoire, c’est la réfl exion, donc je ne vais l’illustrer qu’à moitié, l’illustration sera portée par le récit, on verra tantôt l’action, tantôt le récitant.» J’ai pensé que ce n’était pas bien non plus et, en dernier lieu, j’ai trouvé que la seule façon de faire ce film c’était le récit, filmer le type qui raconte l’histoire. C’est le film impossible à faire, je le déclare impossible. J’essaie de l’écrire, et je ne le peux pas, donc je la fais raconter. J’ai inclus ma préoccupation et ma recherche dans le film.»
Propos de Jean Eustache lors d’un entretien avec Serge Toubiana, Cahiers du Cinéma, n° 284, janvier 1978, Paris.