Je fais du cinéma depuis plusieurs années. Avec obstination, fermeté, persévérance et sans espoir. Aujourd’hui, je veux défendre le cinéma que j’aime. Celui qui me parle et qui justifie ma présence.
Après un peu plus de 100 ans d’âge, seuls quelques films peuvent être considérés comme des œuvres d’art faisant partie du patrimoine culturel. Le cinéma est fréquemment un art de deuxième catégorie. Il effleure à peine la notion de culture. L’explication est peut-être simple. Elle est dans la formidable popularité du cinéma qui lui apporte sa gloire, mais aussi ses dérives. C’est pour cela qu’il est fréquent de confondre le succès avec le talent et avec l’art. Le succès et la qualité ne coïncident presque plus.
Aujourd’hui, il y a deux types de films. On les reconnaît souvent par leurs intentions. L’un se fait avec le cœur, les tripes et les yeux, l’autre se fait en pensant au portefeuille. Par le passé, il n’en était pas ainsi. Il y avait des films, un point, c’est tout. Souvent malgré eux, l’art était intégré dans l’œuvre grâce au talent de ceux qui filmaient. La grande problématique du cinéma est le fait qu’il coûte cher. Les recettes, plus que jamais, décident du nombre et de la qualité des films. Ceci est souvent mensonger et grave. C’est là qu’apparaît le visage tortueux de la schizophrénie du cinéma. Parce que ce métier est à la fois industrie et art.
Le cinéma que je défends, une fois de plus, est celui qui se veut artistique. Celui qui veut accéder à la culture, à ses complexités, à ses difficultés, à son sérieux. Ce cinéma a de moins en moins de moyens de survie. De nouveaux formats et de nouveaux programmes existent et sont d’une grande aide. Malgré cela, l’existence du cinéma est de plus en plus limitée.
Je suis convaincu que l’État doit jouer le rôle de mécène. Les États mécènes, rappelons-nous, ont eu des réussites formidables depuis la Renaissance et jusqu’à aujourd’hui. Quand leurs objectifs ne sont pas purement utilitaires, les États mécènes nous permettent de jouir de la beauté et du génie. Cet État mécène, dont je fais l’éloge, a l’obligation de veiller sur ce type de cinéma. Celui qui se veut culturel.
Ces films, disait un des plus grands cinéastes mexicains, Luis Buñuel (oui, il était mexicain), qui révèlent un mystère et s’y incorporent, ceux qui avec leur lumière font exploser l’univers. Avec ces films, nous parlons d’art, de culture avec majuscule. De bon cinéma. Aujourd’hui, avec le système de production dominant, il ne peut pas y avoir de plus forte menace pour ce cinéma que la censure économique qui lui impose des restrictions plus fortes que celles de toute censure officielle. Ce cinéma si complexe doit continuer. Des programmes d’aide comme Ibermedia ont permis de nombreux bons films voient le jour dans nos pays. Ils ont permis un rapprochement avec la culture.
La culture donne un visage, une voix, un cœur et du sens à un pays. L’État en a besoin pour forger du liant patriotique. Il le sait. Le soutien à la culture n’est ni gratuit ni désintéressé. L’État a besoin de la culture, et la culture a besoin du soutien de l’État, en toute liberté. Ils ont besoin l’un de l’autre pour sauvegarder leur autonomie, leur indépendance, leur intégrité. J’ai entendu dire maintes fois que, avant de s’occuper de culture, il serait vital de construire des hôpitaux, des écoles, des routes. C’est oublier que la culture est aussi capitale que la santé, l’éducation, les communications. Ce n’est pas un décor, c’est une partie intrinsèque du corps social.
Nous qui faisons le cinéma dont je parle avons besoin du soutien permanent de nos gouvernements. Il ne s’agit pas de mendier leur bienveillance. Il s’agit de garantir que nous continuions à avoir un nom, une voix, un visage. Le cinéma est le visage public avec lequel on nous reconnaît à l’étranger. C’est la voix intime à travers laquelle nous nous reconnaissons. Le cinéma, n’en déplaise à ceux qui calculent, n’est pas un luxe dont on peut se passer. Il n’y a pas de croissance sans culture. Il n’y a pas de développement sans culture. Il n’y a pas de démocratie sans culture. Le cinéma n’est pas un bien jetable dont on ne s’occuperait que dans des temps meilleurs. Car, quand arriveront ces temps meilleurs, nous ne saurons plus quoi en faire. Nous aurons perdu le visage, la voix et le regard.
Le cinéma que Buñuel voulait faire doit continuer. Le cinéma dangereux. Celui qui, dans nos yeux et nos esprits, nous noiera de beauté et réussira à faire exploser l’univers.
Arturo Ripstein