Festival 3 Continents
Compétition internationale
47e édition
21>29 NOV. 2025, Nantes

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Hommage à Guru Dutt

Lorsque au début des années 50, Guru Dutt pénètre dans le cinéma Hindi, il pénètre dans un système clos, fermé sur des traditions, établies, dans ses thèmes et dans son expression… Face à ce système rigide, où les conventions ont valeur de loi, il ne reste pour l’artiste sincère que deux solutions. Ou bien à ses risques et périls, ignorer le système et repartir à zéro : c’est ce qu’a fait Satyajit Ray. Ou bien, à l’intérieur du système, transformer les contraintes en ferment pour un art véritable : c’est ce qu’a tenté de faire Guru Dutt.

Nul, sans doute, n’était pieux placé que lui pour réussir. Auteur de nouvelles dès son plus jeune âge, il devait écrire les scénarios de ses meilleurs films, leur donnant une valeur à la fois littéraire et très personnelle, voire autobiographique. Un contact prolongé avec la civilisation bengali lui permettait l’accès à la littérature bengali (il adaptera un de ses chefs d’oeuvre) et, de façon plus générale, plaçait en lui cette exigence de vérité dans l’expression de la sensibilité, ce goût du raffinement qui caractérisent les Bengalis, et qu’on retrouvera dans ses films. nanti d’une solide formation de danseur, d’un sens musical cultivé avec soin, il devait manifester, selon Satyajit Ray, un ‘fine control over rythm and the fluidity of the camera ». Atout supplémentaire : un long apprentissage, dans les studios, des différents aspects de la fabrication des films, de la chorégraphie au maquillage en passant par la technique du jeu d’acteur…

La tentative de Guru Dutt était cependant une gageure. Le public était-il en mesure de suivre ?…

Contrairement à la tradition du film hindi au manichéisme outrancier, Guru Dutt utilise un manichéisme affiné qui fait de ses films de purs mélodrames. Mais pour le large public, habitué à d’autres formes mélodramatiques, les films de Guru Dutt apparaissent trop sobres et même « réalistes ».

Je dirai pour ma part que les trois chefs d’oeuvre de Guru Dutt sont de superbes exemples du mélodrame flamboyant parce qu’ils contiennent suffisamment de détails vrais pour rester convaincants mais s’autorisent avec talent les débordements qui appartiennent au genre, le tout avec la touche très personnelle de leur auteur. Le résultat est d’une grande originalité dans le cinéma indien et sans équivalent dans le cinéma occidental : seul peut-être pourrait-on citer ici le nom de Douglas Sirk, dont les mélodrames ont pourtant un ton bien différent… Si l’oeuvre de Guru Dutt illustre brillamment ce genre cinématographique prestigieux, il lui insuffle de façon originale sa propre sensibilité, sa vulnérabilité, ses angoisses et son obsession de la mort. Le cinéma de Guru Dutt, expression de ses problèmes personnels et d’artiste, est un cinéma à la dernière personne, ce qui fait de lui un cinéaste unique dans le cadre du cinéma indien… Cette oeuvre si personnelle est fondamentalement pessimiste. Son succès auprès du public ne pouvait être qu’accidentel et passager. Guru Dutt le savait mieux que personne, qui a consacré ses meilleurs films à dire que la société ne pouvait que rejeter l’artiste véritable et à faire, par le truchement de l’imagination, l’apprentissage d’un néant vers lequel il se sentait irrémédiablement attiré.

Henri Micciolo, texte de présentation, catalogue F3C 1982

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