Festival 3 Continents
Compétition internationale
47e édition
21>29 NOV. 2025, Nantes

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Rétrospective Xie Jin

Pourquoi Xie Jin ? Pourquoi sont-ce ses films qui, à Turin en 1982, nous ont mis la puce à l’oreille ? Et d’ailleurs, quelle puce ? La puce de l’auteur. Xie Jin est-il un auteur ? Oui, mais à l’américaine, c’est-à-dire quelqu’un chez qui le goût du filage l’emporte toujours un peu plus sur le carcan des lignes imposées. Aux U.S.A, ces lignes étaient celles du rendement idéologico-industriel, en Chine ce furent selles de la confection d’images pieuses et successives, au gré des luttes pour le pouvoir central, lequel n’oublia jamais de s’assujettir les cinéastes, dépendant de leur savoir-faire, et, jaloux de leur talent ( Jiang Qing ne traita t-elle pas Xie Jin d’ »individualistes ambitieux » ?)

Le martyrologe du cinéma chinois n’offre que des carrières brisées, des suicides, des talents découragés. Pas de dissidents. Le cinéma est une machine trop lourde pour porter la dissidence. Seul un cinéaste léger dans cette machine lourde peut passer au travers des mailles du filet, et, peu à peu, accumuler les films comme des preuves de ce que nous appelons en Europe « une oeuvre ». Xie Jin est de ceux-là.

Nous ne savons pas ( nous ne saurons jamais ) ce qu’il pense. De sa carrière, de la politique chinoise, du rôle de l’artiste. Nous ne pouvons que regarder les films. « La Basketteuse n°5« , 1957, depuis Turin, est devenue chez les sinocinéphiles une sorte de culte, un discret signe de ralliement. Peut-être parce que ce mélo sportif de série B vibre de la même émotions que  nous connaissons pour l’avoir éprouvée, malgré des tonnes de codes et de conventions, chez Douglas Sirk ou Allan Dwan. L’amour des personnages, tout simplement. Seules, les situations sont dures : les humains habitent les situations (mêmes les pires) mais préservent quelque chose, presque rien, une indécision, un don de soi-même, même si le seul bénéficiaire en est une caméra.

« La légende des monts Tian Yun« , 1980, est l’autre pôle du cinéma de Xie Jin. Le thème est simple : on en a bavé. Purgés, critiqués, planqués, réhabilités, calomniés, les cadres de la Révolution, régulièrement dévorés par elle, font une galerie complexe d’ombres brisées, de souvenirs lourds, comme il ne s’en trouve que dans les films de « dégel » des pays communistes, de « l’Homme de marbre » à « Neuf jours d’une année » (d’ailleurs Romm est le cinéaste préféré de Xie Jin).

Entre ces ceux pôles, il y a beaucoup d’autres films, ceux-là même qu’il faut découvrir cette année à Nantes. Entre ces deux films, il y a trente ans de cinéma, une carrière rusée, inégale, et, last but not least, une culture complète d’homme de spectacle. Né en 1923 à Shaoxing (terre natale d’une type d’opéra très  particulier : l’Opéra de Shaoxing), passé à Shanghai avec toute sa famille, cinéphile invétéré, script, puis assistant metteur en scène (pour Shi Hui, autre « auteur » remarquable de l’époque). Trente ans plus tard, il est devenu en Chine même un cinéaste reconnu. Ses films ne prouvent rien, sinon qu’il y a une « vitalité » du cinéma qui, heureusement, pèse moins lourd et marque plus fort que la suite gelée des images pieuses. Un vrai cinéaste prend tout de vitesse, même ce a quoi il croit (faire) adhérer. C’est très bien comme ça.

 

Serge Daney

Films