Il est très difficile de faire aujourd’hui une étude sérieuse et approfondie du cinéma indonésien, trop de films de l’histoire de ce cinéma sont devenus invisibles, soit parce qu’ils ont disparus, soit parce qu’il n’y a plus de positif même à une date assez récente, et, sans les efforts importants entrepris par la cinémathèque indonésienne, la situation serait encore plus désastreuse. Pourtant, une lecture contemporaine même incomplète se révèle passionnante, surtout lorsque l’on s’aventure dans la période 1950-1965 environ. Les références sont peu nombreuses, après l’étude très sérieuse parue dans la revue Archipel en 1973, seul Serge Daney nous a communiqué son intéressante expérience dans les Cahiers du Cinéma en septembre 1981.
Sur notre choix de douze films, sélectionnés à partir de quarante films que nous avons pu visionner à Jakarta, nous pouvons apporter quelques commentaires sur le cinéma indonésien tel que nous avons pu le voir.
Nous avons retenu ces films, en raison de leur contemporanéité esthétique et ainsi, beaucoup de films anciens nous ont paru plus modernes qui nombre de films produits aujourd’hui (ce qui a souvent surpris plusieurs de nos interlocuteurs indonésiens qui pensent – trait commun au Tiers-monde – que les films récents sont nécessairement meilleurs que les vieux films).
Pour autant qu’Usmar Ismail a toujours été reconnu et reste très justement admiré dans son oeuvre aux accents rosselliniens (La Longue Marche, Après minuit) – encore ne faut-il pas négliger son aisance dans certaines comédies bien enlevées (Trois Filles), Djadug Djajakusuma est un grand réalisateur méconnu (sa personnalité modeste en est probablement la cause). Et pourtant, certains plans fulgurants de Fouet de feu ou du Tigre du Tjampa, qui rappellent Einsenstein, mais un Einsenstein revu et corrigé par le contexte culturel local, sont la marque d’un homme de grand talent dont on aurait souhaité voir et montrer plus.
Le cinéma de la première époque, peut-être l’âge d’or du cinéma indonésien, s’est essoufflé progressivement dans les années soixante, prisonnier de contraintes idéologiques de plus en plus envahissantes. Nous n’avons pu voir, bien-sûr, les films qu’Usmar Ismail et Djajakusuma ont réalisé après 1960, mais Rêve sur une montagne d’espoir de Wajdhu Sihombing est le seul film ayant su, par ses qualités d’émotion, dépasser les habituels scénarios schématiques de cette époque.
Le changement de pouvoir de 1965 ne relèvera pas dans l’immédiat le cinéma indonésien alors dans le creux de la vague, et il faudra attendre 1970 pour voir la production remonter numériquement du moins.
1971 révèle un nouveau réalisateur, Teguh Karya, qui débute avec un coup de maître (Ballade d’un homme) et confirme le talentueux Wim Umboh avec son premier grand succès populaire. Il aura une carrière prolifique mais inconstante, liée aux aléas des qualités des scénarios. La Mendiante et le Tireur de pousse-pousse est indiscutablement une de ses meilleures réussites.
Une troisième génération de réalisateurs indonésiens s’épanouit au début des années 80. Parmi ceux-ci, Ismail Soebardjo qui avec son premier film de qualité La Femme enchaînée semble porteur de grandes promesses, Kairul Umam, qui a exercé ses dons et sa maîtrise sur un remake de Le Pont aussi étroit qu’un cheveu coupé en 7, déjà réalisé par Asrul Sani, et surtout Slamet Rahardjo, révélé avec La Lune et le Soleil puis confirmé avec Ponirah. Il est un des rares jeunes réalisateurs à pouvoir dépasser les contraintes commerciales et à avoir un juste regard sur la société indonésienne contemporaine.
Philippe Jalladeau, Texte de présentation, Catalogue F3C 1984