Festival 3 Continents
Compétition internationale
46e édition
15>23 NOV. 2024, Nantes

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Panorama du cinéma des Andes

Bolivie

Depuis déjà 30 ans le cinéma bolivien est reconnu au niveau international, les nombreux prix qui lui sont décernés dans les festivals internationaux montrent la maturité dont fait preuve ce cinéma, malgré la faible production de ces dernières années. Cette évolution fait partie de la longue histoire du cinéma bolivien, qui remonte au début du siècle. A cette époque le pays est en train de se remettre du traumatisme vécu pendant la guerre du Pacifique (1879) dans laquelle la Bolivie a perdu tous ses territoires donnant accès au Pacifique. Celle-ci se replie sur elle-même et cela ralentit le développement des idées et de la culture venant de l’Occident.

Dans ce contexte, le cinéma bolivien a d’autant plus de mal à se trouver une identité. Les classes dirigeantes ne se rendent pas compte du pouvoir du cinéma en tant que moyen d’expression de l’identité culturelle.

Malgré toutes ces difficultés, Luis Castillo et quelques autres pionniers du cinéma travaillent avec une admirable persévérance et contribuent à la naissance du cinéma bolivien. Ils réalisent tout d’abord des documentaires et dans les années 20 commencent à réaliser des longs métrages.

C’est l’âge d’or du cinéma muet en Bolivie. De nombreux réalisateurs marquent cette époque de leur empreinte tels Pedro Sambarino, José Maria Velasco Maidana, Mario Camacho, Luis Bazoberry etc..

La spécificité du cinéma bolivien contemporain à thème social trouve ses origines dans cette époque. Ces réalisateurs ont des problèmes de censure; malgré tout ils arrivent à projeter des films comme Corazon Aymara (Coeur Aymara) 1926 le premier film de fiction et Wara Wara (Etoiles, étoiles en quechua) qui fut le grand succès de
l’époque à cause de ses acteurs venant du milieu intellectuel et de la façon dont on montre l’arrivée des conquistadors espagnols.

La guerre du Chaco (1933-36) marque la fin de cette époque et la Bolivie se retrouve de nouveau en crise. Cette période coïncide avec l’arrivée de l’étranger du film sonore. Ceci empêche le développement du cinéma bolivien. Entre 1930 et 1940, pratiquement aucun film ne sera réalisé. Tout redémarre dans les années 50 avec des réalisateurs comme Jorge Ruiz, le plus important des réalisateurs de documentaires et Agusto Roca, Alberto Perrin etc.. Ceux-ci marquent le début du cinéma contemporain en Bolivie.

Le 9 avril 1952 le Mouvement Nationaliste Révolutionnaire (MNR) prend le pouvoir après quelques jours de combat entre le soulèvement populaire et les militaires de l’oligarchie. Cet événement change la situation en Bolivie et permet à la population, en majorité indigène de jouer un rôle actif dans la société. Ce changement permet aussi de réagir face aux problèmes sociaux, aux inégalités raciales, matérielles et culturelles.

Le cinéma de cette époque aborde tous les problèmes sociaux en les critiquant. En mars 1953 le gouvernement révolutionnaire fonde l’Institut Cinématographique Bolivien (ICB), ceci constitue le seul appui de l’Etat au niveau de la production. Même si l’institut ne devient à la fin qu’une agence de production de films de propagande pour le gouvernement, il produit plus de 500 courts et longs métrages documentaires. Ceci est un véritable patrimoine historique. En 1953, Jorge Ruiz réalise Vuelve Sebastiana (Le retour de Sebastiana), l’un des premiers films sonores boliviens et l’une des oeuvres les plus importantes du nouveau cinéma latino-américain. C’est aussi le premier film bolivien à gagner un prix international.

L’ICB a réussi à regrouper tous les réalisateurs les plus importants des dernières décen- nies comme Ruiz, Oscar Soria (notre meilleur scénariste) Jorge Sanjines et beaucoup d’autres sont passés par l’ICB.

Soria et Sanjines sont les fondateurs du Groupe Ukamau dont le nom vient du premier long métrage de Sanjines. Ce groupe a encouragé une expression cinématographique d’une qualité extraordinaire, critique et authentique. Cette expression reflète la recherche des origines de la situation du pays, et essaie de mettre en valeur les cultures indigènes qui sont toujours méprisées à l’heure actuelle.

Les films réalisés dans le cadre du Groupe Ukamau montre la vie telle qu’elle est perçue par l’homme andin.

Ce langage filmique trouve sa meilleure expression dans le dernier film du Groupe Ukamau, le long métrage « La Nación clandestina » (La Nation clandestine) 1989.

Pendant la période de la dictature militaire Sanjines se retrouve en exil et des réalisateurs comme Antonio Eguino et Paolo Agazzi essaient de suivre ses pas sans trop perdre le regard critique typique de ses films, ils essaient en même temps de trouver un moyen de montrer leurs films.

Les trois films d’Antonio Eguino jettent un regard pessimiste sur la réalité du pays. Dans Amargo Mar (La Mer amère), Eguino donne une autre version que la version officielle, des événements de la guerre du Pacifique. Ceci permet de regarder le passé en donnant des leçons sur la situation actuelle. Agazzi essaie de donner une ouverture au cinéma bolivien et de remettre en question certains aspects de la réalité bolivienne.

Les dernières années ont été particulièrement difficiles pour le cinéma bolivien. La crise économique a diminué le pouvoir d’achat.

Parallèlement à cette situation, on voit apparaître de nombreuses chaînes de télévision privées et une augmentation des vidéos pirates. Ceci provoque une diminution des spectateurs potentiels de plus de 50 %, ce qui rend toute production pratiquement impossible. La nouvelle génération de cinéastes est obligée d’utiliser la vidéo comme moyen d’expression. Il est possible que la production redémarre après le dernier décret, discuté pendant 6 ans, de la chambre des députés (loi sur le cinéma).

Le cinéma bolivien a une réserve de talents et une tradition de qualité qui attendent un contexte pus favorable pour se manifester. Nous espérons que cela deviendra bientôt une réalité.

Pedro SUSZ K.
Critique et auteur de plusieurs livres sur le cinéma chilien et directeur de la Cinémathèque bolivienne. 

 

Chili

LE CINEMA CHILIEN : UN PARI SUR LE HASARD

Selon la presse locale (dans un article passé inaperçu), la production cinématographique au Chili débuta en 1900 avec la projection du film Les courses de Vina del Mar. Entre cette date et 1991, plus de 300 longs métrages de fiction et quelques milliers d’autres (inconnus et non-classifiés) ont été réalisés au Chili. Ceux-ci et ceux produits pendant la période d’exil politique entre 1973 et 1989, font de l’ensemble du cinéma chilien une activité laissée au hasard.

1910, date de la célébration du premier centenaire de l’indépendance nationale, est une année faste : Arturo Larrain Lecaros réalise un documentaire qui remporte un franc succès Les Funérailles du Président Montt et le renommé professeur Adolfo Urzua Rozas réalise également le premier long métrage de fiction Manuel Rodriguez. Ces progrès sont consolidés par l’apport technique de l’Italien Salvador Giambastiani qui s’est établi au Chili. Avant sa mort prématurée, il eut une carrière cinématographique très riche entre 1915 et 1921.

Sa jeune veuve Gabriela Bussenius – première femme cinéaste – continue son oeuvre avec un disciple de Giambastiani, le directeur de la photographie Gustavo Bussenius.

Le cinéma chilien des années 20 est une modeste production indépendante, mais joue un rôle important dans la programmation des films, 400 longs métrages sont projetés chaque année dont la plupart viennent des Etats-Unis qui a, déjà à l’époque, un rôle hégémonique dans la distribution latino-américaine.

Le public est enthousiasmé par les thèmes traités par les réalisateurs Pedro Sienna, Nicanor de la Sotta, Jorge Delano (Coke), Juan Pérez Berrocal et Alberto Santana qui mélangent l’émotivité et le sens de l’humour.

Malheureusement, tous ces films se « perdent » lors de leur projection commerciale. En fait la base nitrate des films est utilisée pour la fabrication de peignes et les autorités font preuve d’une profonde négligence dans la conservation du patrimoine culturel.

Les années 30 sont marquées par le changement dû à l’arrivée du parlant. Face à la nouveauté venant de l’étranger, la production locale ralentit. Jorge Delano (Coke) est envoyé à Hollywood étudier les nouvelles technologies et à son retour réalise en 1934 Nord et Sud, le premier film parlant chilien. Entre-temps, surgit l’importante oeuvre documentaire d’Armando Rojas Castro qui donne son appui didactique (depuis l’Université du Chili) au Ministère de l’Education jusqu’aux années 40. Ces années sont marquées par la retraite de Sienna, la mort de De la Sotta et l’émergence de génies comme Eugénio de Liguoro et José Bohr qui développent la comédie avec l’appui du public des classes populaires.

Dans les années 40, le gouvernement chilien entreprend de créer une production cinématographique nationale. C’est un échec total. Encouragé par le succès du cinéma argentin dont les films parlants sont distribués dans toute l’Amérique Latine, le gouvernement chilien fonde la compagnie « Chile Films » et engage des professionnels argentins. Ceux-ci venant de l’étranger et prenant la place des cinéastes chiliens provoquent la faillite de « Chile Films ». Parallèlement, des réalisateurs chiliens indépendants continuent dans la marginalité.

A Delano, Bohr et de Liguoro se joignent les jeunes Patricio Kaulen, Miguel Frank, Naum Kramarenco et Hernan Correa, entre autres.

Les années 50 sont dominées par la compagnie qui prend en charge « Chile Films » et engage le cinéaste français Pierre Chenal déjà assez connu. Il réalise L’idole et Confession à l’aube. Dans ces années là, surgit aussi le mouvement documentaire universitaire. Rafaël Sanchez, fonde l’Institut Filmique à l’Université Catholique du Chili et Sergio Bravo fonde le Centre de production de cinéma expérimental à l’Université du Chili. Ils proposent des productions qui valorisent l’expression cinématographique sans contrainte commerciale, tout en encourageant une recherche d’identité nationale. Bravo restaure Le Hussard de la mort réalisé par Pablo Sienna en 1925. Ce film est le seul long métrage de fiction conservé actuellement.

A la fin des années 60 se crée « Diprocine », association de réalisateurs et de producteurs qui pousse le gouvernement à favoriser le cinéma chilien par la promulgation de dispositions concernant les longs métrages. Ceci permet la réalisation de : Le Long Voyage de Patricio Kaulen, La Crique sanglante d’Helvio Soto, Trois tristes tigres de Raul Ruiz, Valparaiso mon amour de Aldo Francia, Le Chacal de Nahueltoro de Miguel Littin et Les Témoins de Charles Elsseser entre autres.

Les années 70 commencent par une effervescence du cinéma politique encouragé par l’Unité Populaire. Se font aussi bien des films documentaires que des films de fiction. Cette expérience formidable prend fin avec le coup d’état de 1973 qui amène des changements profonds dans la production. Une grande partie des réalisateurs quittent le pays et débute la période du « cinéma chilien en exil ». Ce sont dans un premier temps Raul Ruiz, Miguel Littin, Helvio Soto, Patricio Guzman, Sergio Castilla, Pablo de la Barra, Marilu Mallet, Orlando Lubbert, Angelina Vasquez, Valeria Sarmiento, Claudio Sapiain, Pedro Chaskel, Sébastian Alarcon, Hector Rios et Luis Vera. Au Chili la production continue mais sans l’aide de l’Etat. Sont réalisés A L’ombre du soleil de Silvio Caiozzi et Pablo Perelman, La Grâce et l’étranger de Sergio Riesenbers, Les Voies parallèles de Cristian Sanchez et Sergio Navarro, Pepe Donoso de Carlos Flores del Pino et Juillet commence en juillet de Silvio Caiozzi.

 

La décennie des années 80 voit l’essor du marché libre encouragé par la junte militaire. On encourage les réalisateurs à travailler dans la publicité. Quelques réalisateurs parviennent à s’autofinancer aidés par de petites subventions de l’extérieur : Pablo Perelman (Image latente), Cristian Sanchez (Les Désirs conçus), Silvio Caiozzi (La Lune dans le miroir). Les nouveaux cinéastes de cette période sont : Leonardo Kocking (La Saison du retour), Gonzalo Justiniano (Les Enfants de la guerre froide), Juan Carlos Bustamante (L’Histoire du lézard), Joaquin Eysaguirre (Le Grand Chelle), Jorge Lopez (Le Dernier mousse), Christian Lorca (Nemesio), Ignacio Agûero (Cent enfants attendent le train), Daniel de La Vega (Pays d’octobre), Andrés Raoz (La Douce patrie), Tatiana Gaviola (Anges), Patricia Mora (Nuage de pluie), Rodrigo Ortuzar (Rêve d’hier), Ricardo Larrain (La Frontière),

Actuellement, la démocratie restaurée au Chili permet la rencontre de cinéastes chiliens et étrangers. La renaissance du festival du film de Vina Del Mar en est la preuve, les changements politiques font que le cinéma chilien ne sera plus laissé au hasard. Et de cette rencontre des anciens et des jeunes va naître un cinéma chilien, symbole de la réconciliation du passé avec le présent.

Alicia VEGA
autrice de Re-Vision del Cine chileno, Santiago du Chili 1979 et du « Catalogue historique du cinéma chilien » 1991.

Pérou

Le cinéma débute au Pérou le samedi 2 janvier 1897 lors de la première séance publique du Vitascope d’Edison. Cette séance eut lieu à Lima en plein centre de la capitale au jardin Estraburgo en présence du Président de la République Nicolas de Piérola.

L’appareil des frères Lumière, le cinématographe, arrive avec un certain retard et fait sa première apparition en février 1897.
Le public qui voit la naissance du cinéma au Pérou fait partie de ce qu’on appelle « les enfants de la prodigalité et de l’anarchie » qui donne suite à la guerre du Pacifique et du chaos de cette époque. Ces mêmes citoyens proviennent de ce qui fut appelé « la République Aristocrate » dans laquelle 5 % de la population a le droit de vote et l’organisation du gouvernement est dans les mains des classes dirigeantes.

C’est une période dilettante pendant laquelle l’Etat de droit est imposé, bien que limité et exclusif.

L’Europe et surtout Paris ont marqué de leurs empreintes la vie quotidienne des Péruviens à tel point que Lima commence à se transformer en acquérant une physionomie française représentée par un certain art de vivre.

Le cinéma péruvien se développe très vite. Des imprésarios ambulants traversent tout le pays avec l’intention de répandre le cinéma au Pérou. En avril 1899 la projection de films sur le paysage péruvien marque le début du cinéma géographique. Ces premières images s’appellent La Catedral de Lima , Camino a la Orova et Chanochamayo. Leurs réalisateurs restent anonymes. Par contre, on connaît le nom de Juan José Pont qui décide en 1904 de filmer divers endroits de Lima et d’en faire un montage. « La salida de Misa de la Iglesia de San Pedro, El Paseo Colon et « El jiron de la Union » ont été projetés dans plusieurs endroits à partir du 23 janvier 1904. Celles-ci sont les premières images dont on peut identifier l’auteur avec certitude.

La première décennie du siècle voit apparaître de nombreux films documentaires financés par les compagnies propriétaires des salles de cinéma. Ces documentaires passaient en avant-séance. Le plus grand producteur de ces années-là est la compagnie « Cinéma Teatro ». Le cinéaste le plus important est Jorge Enrique Goitizolo, un jeune photographe qui réalise les images des plus grands succès de cette époque Ejercio de fuego de los grandes cañones (Exercice des grands canons), La jura de la Bandera (Le serment du drapeau) et surtout Los Centauros Peruanos (Les centaures péruviens).

Le 14 avril 1913 marque la première du film Negocio al Agua (Commerce d’eau) une comédie en cinq parties. C’est le premier film de fiction réalisé au Pérou. Financé par la compagnie « Cinéma Teatro », le scénario est de Federico Blume et Corbacho et le réali- sateur est Jorge Goitizolo. En juillet de cette même année la compagnie « Internationale cinématographique » présente la première de son film « Del Manicomio al Matrimonio » (De l’hôpital psychiatrique au mariage) écrit par Isabel Sanchez Concha et réalisé par Fernando Lund. Ce deuxième film de fiction s’inspire des histoires galantes typiques des films français de l’époque comme ceux d’Eclair, Gaumont et Pathé.

Ces deux films sont les seuls films de fiction réalisés pendant la deuxième décennie.

Il est probable que la 1ère guerre mondiale et le manque de pellicules soient les causes de la faible production de films pendant cette période, mais ceci est peut être dû aussi à l’aliénation du cinéma péruvien de cette époque, les films visant à reproduire ceux venant de l’étranger.

Cependant ce public exige la qualité technique des films étrangers et non pas de mauvaises reproductions péruviennes de comédies sophistiquées inspirées par l’étranger. Personne n’essaye de créer un cinéma local exprimant l’exotisme et le folklore du pays ou bien traitant du métissage et des indigènes comme on le fait dans les pays voisins. Ces derniers sont à la recherche d’un cinéma revendiquant leur propre histoire, leurs traditions ainsi que leurs rêves et leur imagination.

Les années 20 commencent avec la première du film Camino de la Venganza (Chemin de la vengeance) en 1922, production de « Lima Films », réalisé par Luis Ugarte. C’est le film le plus long qui ait été réalisé jusqu’à cette date. Toutefois le premier long métrage ayant des critères techniques occidentaux est Paginas Heroicas (Les pages héroïques). Malheureusement le film est censuré et interdit dès la première en décembre 1926. Les autorités craignent que le film affecte les relations diplomatiques avec le Chili, délicates depuis la guerre du Pacifique. Ce film exprime les attitudes sentimentales et nationalistes des femmes péruviennes qui assistèrent le blessé au front. Le premier long métrage réalisé au Pérou n’a donc jamais été montré au public.

En 1927, Luis Pardo apparaît sur les écrans. Ce film réalisé par Enrique Cornejo Villanueva rencontre un grand succès public. C’est l’histoire d’un bandit, Luis Pardo, qui vole aux riches pour donner aux pauvres. Cette histoire fait partie des légendes populaires et Villanueva ajoute des éléments romantiques et picaresques typiques des films d’aventure hollywoodiens de l’époque.

En 1928  La Perricholi de Enzo Longhi est la biographie imaginaire de l’actrice métisse Micaela Villegas alias Perricholi. D’après l’histoire elle séduit le vice-roi catalan Manuel de Amat et Junient. Sa projection lors de l’Exposition Universelle à Séville en 1928 lui apporte beaucoup de prestige car on l’associe aux grands spectacles d’Ernst Lubitsch de l’époque. C’est le premier film péruvien projeté et apprécié à l’étranger.

Le nom le plus important de la période du cinéma muet est celui du chilien Alberto Santana qui fonde une compagnie de production « Patria Films ».
Avec celle-ci il réalise des films dans le but de créer les fondements d’une industrie filmique. Ceci n’a jamais pu se concrétiser au Pérou. 1929 Los abismos de la Vida (Les abîmes de la vie), Como Chaplin (Comme Chaplin), 1930 Mientras Lima Duerme (Pendant qu’on dort à Lima), Alma Peruana (L’âme péruvienne), La chicas del jiron de la Union (Les filles du lambeau d’union), 1933 Yo perdi mi corazon en Lima (J’ai perdu mon coeur à Lima), 1934 Como seran vuestros hijos (Comment seront vos enfants) sont les titres qui rencontrent l’adhésion massive du public. Santana fait appel au mélodrame et à la comédie typiques du cinéma américain qui domine le marché péruvien. La chute de 1929 et la récession qui suit, diminuent la fréquentation des salles de cinéma, le projet de Santana s’écroule.

Le premier film sonore réalisé au Pérou est en 1934 Rescasa de Santana. Ce film est sonorisé avec des disques. Le son optique est utilisé dans Buscando Olvido en1936.

En 1937, la compagnie « Amauta Films » acquiert la technologie nécessaire à la réalisation de films sonores, alors débute une période durant laquelle 14 films longs métrages sont réalisés.

C’est une période importante du « cinéma créole » fait avec des moyens précaires mais rencontrant un succès économique remarquable. Des films comme La bailarina loca (La ballerine folle) 1937, Gallo de mi Galpon (Le coq de mon hangar) 1938, El guapo del Pueblo (Le beau garçon du village) 1938 ou Palomillas del Rimac (Les petits pigeons du rimac) évoquent tous les gestes et coutumes des habitants des quartiers traditionnels de Lima en voie de disparition.

Ces films sont réalisés selon les critères du cinéma mexicain de l’époque qui cherche une identité nationale en utilisant la musique et des personnages d’inspiration populaire et qui sont un point de rencontre et de dissolution de tous les conflits sociaux.
Avec Amauta Films débute une période de films à thèmes sociaux.

Ce genre de film s’appelle la « Comédie de la vie ». Ils sont fait de chansons et d’anecdotes de la vie quotidienne, et utilisent les caractéristiques des comédies de « canaille » qui racontent toutes les misères, les sentiments et les ambitions du milieu populaire. On y voit tous les personnages inspirés par le paysan : « El guapo et el gallo » (Le beau et le coq) et « El palomillo » (Le petit pigeon).

Toute la « couleur » des quartiers populaires, les drames quotidiens et la « Jarana » (fête populaire) sont utilisés par les réalisateurs d’Amauta films comme Ricardo Villarain et Sigifredo Sales. Manuel Trullen, un photographe et Francisco Diumenjo, un ingénieur du son contribuent à la réalisation de ces films. Amauta films crée une « sociologie filmique » des quartiers populaires du Lima des années 30.
La difficulté de trouver des matériaux cinématographiques durant la seconde guerre mondiale, la concurrence du cinéma mexicain et l’étroitesse du marché péruvien arrêtent l’expérience de Amauta Films. Une fois de plus, la possibilité de créer une industrie cinématographique au Pérou disparaît.

A part quelques mauvais films ne remportant que peu de succès, le cinéma péruvien s’arrête jusqu’aux années 50. Dès lors commence l’expérience cinématographique que Georges Sadoul appelle « L’Ecole de Cusco ». En décembre 1955 le ciné-club de Cusco commence des séances dans le but de répandre la culture cinématographique et la réalisation de films. Dans la capitale, ancien siège de l’Empire inca, les animateurs du ciné- club Cusco dont Manuel et Victor Chambi, Luis Figueroa et Eulogio Nishiyama font des films qui lient le thème du monde indigène et de ses habitants aux critères du cinéma péruvien. Manuel Chambi réalise le documentaire le plus remarquable sur le thème indigène avec des films comme Carnaval de Kanas (1956), Lucero de nieve (L’étoile des neiges) (1956),  Noche y alba (Nuit et aube) (1959), Las nieves (La fête des neiges) (1960), Estampas del carnaval de Kanas (Empreintes du carnaval de Kanas) (1963).

La contribution la plus importante des cinéastes de l’Ecole de Cusco est la réalisation du long métrage de fiction Kukuli (1960) de Luis Figueroa, Eulogio Nishiyama et César Villanueva. Ces derniers réalisent également Jarawi en 1966.

La contribution de ces cinéastes est d’une grande importance dans la mesure où elle fait prendre conscience d’un aspect de la réalité péruvienne, celle des indigènes. Pour la première fois au Pérou, le cinéma devient un moyen d’expression de sa propre culture, d’autant plus qu’il rend hommage aux marginaux : les Indiens.

Le cinéma prend une place aussi importante que la littérature ou les arts plastiques.

Les années 60 voient la naissance de « Parlons de cinéma », l’une des revues de langue espagnole la plus répandue avec 77 éditions. Cette revue naît de l’idée de Armando Robles Godoy qui en 1965, réalise son premier long métrage « Ganaras el Pan » (Gagneras-tu le pain), alors qu’au Pérou les films ne se faisaient qu’en co-productions avec le Mexique.

L’importance de Robles Godoy est remarquable. C’est le premier réalisateur à faire preuve d’une conscience professionnelle dans tous ses films. En la salva no hay estrellas (Il n’y a pas d’étoiles dans la jungle) (1967), La Muralla verde (La muraille verte) (1970), Espejismo (Mirage) (1973) et « Sonata soledad » (Sonate de la solitude) (1987), tous exposent une réalité abstraite et mentale de l’univers présenté. Robles marque son empreinte en créant un style cinématographique propre. C’est un style kaléidoscopique fait avec des fragments de périodes et des transitions abruptes.

Robles est aussi un militant dans la mesure où il réussit à mettre en place une législation cinématographique. En 1972, un décret donne un stimulant décisif au cinéma péruvien. Grâce à cette loi tous les films courts et longs métrages doivent être projetés obligatoirement dans toutes les salles du pays et les producteurs doivent récupérer un pourcentage sur les impôts des salles. Ceci permet la réalisation de presque 1000 courts métrages et 50 longs métrages sur 20 ans. Des cinéastes comme Federico Garcia ( Kunturwachana , El Caso Huayanay,  Testimonio de parte, Tupac Amaru, El Socio de Dios etc…), groupe Chaski (Gregorio, Juliana), Luis Llosa (Mision en los Andes, Calles peligrosas), José Carlos Huayhuaca (Profesion : Détective) ou Francisco Lombardi (Muerte al amanecer, Muerte de un magnate, Maruja en el infierno, La ciudad y los perros, La Boca del lobo, Caidos del cielo) ont commencé et continuent une carrière qui leur donne une reconnaissance dans leur pays et des prix dans des festivals étrangers.

Lima et sa campagne, le présent et l’histoire ainsi que la situation catastrophique du pays, la violence et le terrorisme de ces dernières années traités de près par l’ensemble de ces cinéastes, la vision politique du conflit dans les Andes qui sont les thèmes de plusieurs films de Garcia alternent avec les problèmes de la ville et de la dramaturgie citadine que traite Lombardi, ce sont les cinéastes les plus prolifiques.

Malgré tout, la crise économique des années 80 menace l’existence du cinéma péruvien. La fermeture massive des salles de cinéma (en 1988, 229 salles, en 1990 à peine 179), la baisse de fréquentation des salles, l’impossibilité de trouver des moyens de financement interne et la diminution de l’aide de l’Etat ont amené le cinéma péruvien à une situation très compromise. Seul l’avenir dissipera l’incertitude des réelles possibilités de continuer cette activité passionnante.

Ricardo BEDOYA

Films