Festival 3 Continents
Compétition internationale
47e édition
21>29 NOV. 2025, Nantes

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Existe-t-il un cinéma vietnamien?

Depuis la récente apparition sur nos écrans de films tels que L’Amant de Jean-Jacques Annaud, Dien Ben Phu de Pierre Schoendorffer ou bien encore Indochine de Régis Wargnier (la liste n’est pas close, devraient suivre : Les Guerres d’Indochine de Jacques Perrin, Le retour de Frank d’Alain Robbe Grillet, La Voie royale de Andrei Mikhalkov- Konchalovski, Les sacrifiés de Jean-Claude Brisseau, L’Odeur de la papaye verte, etc.. ), auxquels il faut ajouter bien sûr les émissions de télévision, on n’a jamais autant parlé du Vietnam. Une fois de plus, et je le déplore beaucoup, cela s’est effectué dans un seul et unique sens, celui comme toujours de l’étranger qui va dans un pays y chercher les images dont il a besoin. Si une telle attitude ne choque personne, personnellement elle me gêne, dans la mesure où elle peut totalement occulter une cinématographie existante, à tel point que pour la majorité des occidentaux le cinéma vietnamien n’existe pas.

Depuis la création, en 1979, du Festival des 3 continents, nous savions, ayant assez régulièrement programmé des films en provenance du Vietnam, que de très nombreux films avaient été réalisés tant au Nord qu’au Sud et aussi sous les différents régimes que le Vietnam a connus mais sans beaucoup de précisions, les diverses informations que nous pouvions obtenir étant trop vagues. Souhaitant en savoir plus il fallait donc aller sur place avec l’idée bien sûr de sélectionner , si cela en valait la peine, une quinzaine de films pour un « Panorama du cinéma vietnamien ». Après un séjour de 10 jours à Hanoi pendant lequel j’ai pu visionner environ 40 films, le projet d’un panorama du cinéma vietnamien pour l’édition 92 du Festival des 3 Continents m’a paru totalement réalisable, le nombre de films de qualité étant très largement suffisant pour une bonne sélection.

Choisir 15 films parmi les 375 produits approximativement entre 1959 et 1992 auxquels il faut ajouter près de 200 films réalisés à Saigon de 1954 à 1975 n’était pas évident mais en privilégiant la forme au fond mes choix ont été plus faciles et plus conformes à mes goûts en matière de cinéma. C’est donc très subjectivement que j’ai arrêté une sélection de 14 films, facilitée aussi par le fait que sur les 575 films produits une grande majorité n’était pas disponible (négatifs disparus ou positifs inutilisables) sans omettre que malgré des promesses il ne m’a été possible de visionner les films réalisés dans le Sud après 1954 parmi lesquels se trouvaient les films de propagande anticommuniste produits d’abord sous le régime de Diem puis sous celui de Thieu).

Une sélection aussi restreinte ne peut en aucun cas refléter les diverses tendances du cinéma vietnamien mais donnera tout de même un aperçu d’une production où la guerre de libération suivie par la reconstruction du pays avec l’instauration du socialisme occupe une place prépondérante.

J’espère que la sélection proposée permettra de découvrir une véritable cinématographie qui malheureusement a toujours manqué, et cela ne semble pas actuellement s’amélioré, d’un réel manque de moyens. Il est évident et je le conçois très bien que dans un pays comme le Vietnam où le produit national brut est toujours très faible il existe des priorités autres que celles d’aider le cinéma mais d’un autre côté il est dommage que des cinéastes de talent tels Nguyen Hong Sen, Dang Nhat Minh ou Viet Linh qui seront d’ailleurs présents à Nantes soient contraints d’exercer d’autres activités, sans parler des très nombreux jeunes cinéastes que j’ai rencontrés qui attendent avec impatience la possibilité de réaliser leur premier film.

Pour conclure souhaitons que ce panorama du cinéma vietnamien à Nantes permettra de mieux faire connaitre dans le Monde l’existence de la cinématographie vietnamienne et surtout de satisfaire la très grande demande de tous les cinéastes vietnamiens.

LE CINÉMA VIETNAMIEN ENTRE LA VIE ET LA MORT

Il n’est pas aisé de présenter le cinéma vietnamien. Pour ne parler que des œuvres de fiction, dont le total se chiffre à 600 films (grosso modo, un tiers produit au Sud, un tiers  produit au Nord avant 1975, et un tiers dans l’ensemble du Vietnam depuis la réunification), le premier tiers est confiné à la Cinémathèque de Hochiminh ville dont l’accès est réservé aux seuls cinéastes autorisés (malgré les promesses, le Festival de Nantes n’a reçu aucune copie), les autres sont conservés dans des conditions telles qu’il est pratiquement impossible de les visionner tous. Par ailleurs, aucune filmographie (même en vietnamien) n’est disponible qui permet de faire du cinéma vietnamien un inventaire quantitatif sérieux.

On se contentera dans ces conditions de dégager quelques remarques personnelles, tirées d’une expérience plutôt limitée (une cinquantaine de films visionnés) compensée d’une fréquentation plus ou moins suivie de cinéastes vietnamiens depuis dix ans.

DES CONDITIONS DE TRAVAIL INIMAGINABLES

On commence à connaître les conditions de travail et d’existence des artistes du Vietnam, et notamment des cinéastes. Mais même les initiés ne cessent d’ être surpris par leur dureté. Donnons-en quelques exemples : Viet Linh (dont Nantes a fait connaître Le Cirque ambulant en 1990) vient de tourner cet été La Marque du démon. Les pellicules couleur ont été achetées dans le stock Orwo de l’ex-RDA, les images perdront leur couleur dans dix ans. L’économie est de règle : le coefficient de rush / film monté est de 2,6 à 3 (contre 10 en France). La caméra utilisée — reliquat de l’ancienne République du (Sud) Vietnam — a quelques quarante ans d’âge. Coût total du film : 500 millions de dongs, soit 240 000 Francs. Rémunération pour la réalisatrice, 2 400 Francs, pour le scénariste, 1 900 Francs, pour chacun des premiers rôles : 2 400 Francs.

Un cinéaste (qui peut s’estimer heureux de pouvoir réaliser un film par an — la production annuelle de 1991 est descendue à 22 films pour tout le Vietnam) doit, pour survivre physiquement, tout faire, c’est-à-dire n’importe quoi. C’est ainsi que Trân Phuong, réalisateur de Hi vong cuôi cùng (Le Dernier espoir, 1981, qui annonce sans conteste le renouveau du cinéma vietnamien), s’est égaré depuis quatre ans dans une sous-série de vidéo mi-polar mi-kungfu. Quant à Hong Sên, dont on retient les magnifiques images tournées aux maquis ( Duong ra phia truoc, Routes vers le front, 1967) et Canh dong hoang (Terre Dévastée, 1980) épopée de la résistance empreinte d’humanisme, en quelque sorte une contre-plongée en noir et blanc de Apocalypse Now, on peut lire sur sa carte de visite la mention « Artiste du Peuple »(distinction la plus haute réservée aux artistes de la République Socialiste) suivie de « Reporter de mariages et enterrements  » : une journée de mariage peut rapporter au video cameraman, tous frais déduits, 500 000 dongs, soit quinze jours de salaire  » normal  » d’un cinéaste.

UN CINÉMA MENACÉ DE MORT PAR  » L’ÉCONOMIE DE MARCHÉ  »

Selon les statistiques officielles, le Vietnam a produit en 1991, 92 films de fiction, dont 22 films de cinéma et 70 films vidéo. Dans la même année, il a importé 423 films de fiction, dont 189 films de cinéma et 234 films vidéo.

Le pays compte officiellement 40 maisons de production. A côté des quelques studios d’Etat qui vivotent, sont apparues 32 maisons de production tenues par le privé (camouflé derrière des organismes para-publics et des associations) devenu hégémonique : à Hochiminh-ville, elles sortent un film tous les huit jours, d’une qualité souvent déplorable. Une triple tendance se confirme:  le cinéma cède la place à la vidéo, les films vietnamiens reculent devant les films importés, et dans la production nationale, les œuvres artistiques sont écrasées par les produits commerciaux.

Une analyse du contenu des films et quelques exemples le montrent. Sur les 203 films importés en 1990, 119 sont des productions commerciales de Hongkong, Taiwan et des USA, 40 % des films projetés sont des policiers et des films de kungfu, le reste est composé principalement de mélodrames socio-psychologiques. Le Cirque ambulant de Viet Linh, suspendu pendant deux ans par la censure, puis primé au Festival vietnamien de novembre 1990 et distingué dans plusieurs festivals internationaux, a été finalement refusé par Fafim (organisme officiel de diffusion) pour motif de  » risque élévé d’échec commercial ». Le même Fafim transforme des salles de cinéma en multi-salles de projection vidéo et tire des bénéfices pharamineux de l’importation des vidéos de Hongkong.

Au nom de l’économie de marché (l’expression la plus galvaudée depuis quelques années, de Berlin à Hanoï en passant par Pékin), une privatisation honteuse s’est opérée depuis 1981-1982, il faut attendre la fin de l’année 1987 pour voir Hà Nôi trong mat ai (Hanoi, un certain regard) et bientôt Chuyen tu te (Vivre comme il faut) de Tran Van Thuy drainer des millions de spectateurs. Ce n’est bien sûr pas la faute des cinéastes : Hà Nôi trong mat ai est resté dans les placards pendant deux ans. Et ce n’est pas par hasard si l’un et l’autre sont des documentaires, des images du  » réel  » (Hà Nôi trong mat ai avait pour commanditaire l’Office du tourisme de Hanoï !). Un film de fiction sur le même thème n’aurait pas reçu le premier coup de manivelle, aurait été censuré dès le stade du scénario.

La libéralisation de 1987 a donné naissance à une série d’œuvres remarquables dans le cinéma vietnamien où les studios nationaux sont mis à la dispositions des producteurs  » privés, où le réseau de diffusion est tenu par une véritable mafia qui naguère régnait sous l’enseigne de l’orthodoxie idéologique.

Il serait injuste de dire que l’Etat a laissé tomber le cinéma en particulier et la culture en général. Lors de la session de décembre 1990 de l’Assemblée nationale, les milieux cinématographiques ont appris avec stupeur que le ministère de la culture leur avait accordé pour 1990 une subvention de 7,9 milliards de dongs (soit 3,8 millions de francs, l’équivalent du budget de production d’une vingtaine de films). Deux ans plus tard, on n’a pas fini d’enquêter sur l’évaporation de cette somme, un scandale parmi 20 scandales du cinéma vietnamien, si on en croit les décomptes effectués par Tran Dung Tien, auteur de Phia sau man bac (Derrière l’écran). Cet exemple est révélateur de la situation tragique du cinéma vietnamien à l’heure où le passage (nécessaire) à l’économie de marché s’opère dans l’absence totale de la transparence qui pourrait, aux yeux des dirigeants conservateurs paniqués par le bouleversement en Europe de l’Est, mettre en cause »le rôle dirigeant unique du Parti communiste ». Ce refus de la démocratie risque à terme de porter un coup mortel aussi bien au cinéma, au théâtre qu’à l’ensemble de la vie culturelle du pays. 

UNE RENAISSANCE À PEINE COMMENCÉE

Le moment est mal choisi d’autant plus que le 7ème art vietnamien s’est dégagé à peine d’une longue période de tutelle idéologique qui a présidé à sa naissance.

En effet, mis à part quelques essais plus ou moins commerciaux dans les années 1930 et des des séquences de documentaires tournées pendant la première guerre d’Indochine (1945-54), le cinéma vietnamien est né à la fin de la décennie 1950, quand le Vietnam est divisé en deux et où la guerre de libération nationale inachevée s’est doublée d’une guerre civile avant d’atteindre le paroxysme de la confrontation Est-Ouest / Nord-Sud des années 1960. Au Nord comme au Sud, le cinéma est considéré par le pouvoir comme un instrument d’une propagande manichéenne, au service de la guerre de libération (le conseiller américain ou l’officier  » fantoche  » est condamné à être un pantin sanguinaire) ou de la lutte anti-communiste (le militant révolutionnaire est toujours fanatique et inculte). A Saigon, la production ne pouvait échapper à la censure anti-communiste que pour s’évader dans le mélodrame sentimental. A Hanoi, plus d’un cinéaste essayait d’imprimer un contenu humaniste aux œuvres de combat. C’est ainsi que dans Hai nguoi linh (Deux soldats), le soldat du corps expéditionnaire est loin d’être caricatural, ce qui suffit à mettre en colère les censeurs qui ont aussitôt enlevé le film de l’affiche.

Il faut attendre la fin de la guerre  » américaine  » (avril 1975) pour voir les premiers signes d’un cinéma artistique autonome. Hi vong cuôi cùng (Le Dernier espoir, 1980) — voir plus haut — en est certainement un, où la bureaucratie et le mensonge montrent toute leur puissance (comme ce film a Hanoi pour cadre, bien qu’autorisé, il n’est toujours pas projeté sur les écrans de la capitale). Au même moment, Thi xa trong tâm tay (Une bourgade à la portée de la main) de Dang Nhat Minh échappe au sort d’un film de circonstance (dénonciation de l’invasion chinoise) qu’il aurait pu être. Outre ses qualités plastiques qui le distinguent de la production de l’époque, ce film s’est attaqué d’une manière subtile, mais fort lisible, au maoïsme qui régnait en Chine comme au Vietnam.

Malgré ces signes avant-coureurs, le cinéma vietnamien (entièrement subventionné à l’époque) était en retard par rapport au théâtre (bien que subventionné, le théâtre subit directement la sanction du public auquel il est plus sensible et avec lequel il est plus en phase). Alors que les pièces de Luu Quang Vu ont secoué littéralement tous le pays depuis 1981-1982, il faut attendre la fin de l’année 1987 pour voir Hà Nôi trong mat ai (Hanoi, un certain regard) et bientôt Chuyen tu te (Vivre comme il faut) de Tran Van Thuy drainer des millions de spectateurs. Ce n’est bien sûr pas la faute des cinéastes : Hà Nôi trong mat ai est resté dans les placards pendant deux ans. Et ce n’est pas par hasard si l’un et l’autre sont des documentaires, des images du  » réel  » (Hà Nôi trong mat ai avait pour commanditaire l’Office du tourisme de Hanoï !). Un film de fiction sur le même thème n’aurait pas reçu le premier coup de manivelle, aurait été censuré dès le stade du scénario.

La libéralisation de 1987 a donné naissance à une série d’oeuvres remarquables notamment Cô gai trên sông (La Jeune femme sur la rivière)de Dang Nhat Minh, Tuong vê huu (adaptation de la nouvelle Le général à la retraite de Nguyen Huy Thiep) de Khac Loi, Thi trân yên tinh (Une bourgade tranquille), Thang bom (L’Idiot) de Lê Duc Tiên… Le sort réservé au Ganh xiêc rong (Le Cirque ambulant) de Viet Linh (censure pendant deux ans, autorisation après modification du titre, refus de diffusion commerciale) marque les limites de cette libéralisation qui a marqué le pas dès 1979. Mais paradoxalement, il marque aussi les limites de l’appareil de censure idéologique : la pression des cinéastes au Vietnam et celle de l’opinion internationale ont joué un rôle important dans la sortie de ce film.

À peine sorti partiellement du carcan de la censure idéologique, le jeune cinéma vietnamien est tombé dans l’engrenage de  » l’économie de marché « . C’est dire qu’il n’a pas eu le temps ni l’occasion de se débarrasser des faiblesses dues à l’extrême pauvreté des moyens et à un isolement prolongé. On ne peut, dans ces conditions, que saluer les efforts désespérés d’une poignée de cinéastes et de tant de jeunes réalisateurs encore inconnus, qui essaient de survivre et de maintenir en vie un cinéma dont les promesses nous ont plus d’une fois ému.

Nguyen Ngoc Giao

 

La jeune femme de Bai Sao (chi tu hau bai sao) – Pham KY NAM – 1963

Terre dévastée (canh dong hoang) – Nguyen HONG SEN – 1979

Lumière éteinte (chi dau) – Pham VAN KHOA – 1981

Une ville à portée de main (thi xa trong tam tay) – Dang NHAT MINH – 1982

Karma – Ho QUANG MINH – 1986

Destin éphémère (kiep phu du) – HaiI NINH – 1990

Le jeu (canh bac) – Luu TRONG NINH – 1991

La marque du démon (dau an cua quy) – Viet LINH – 1992

L’oisillon (chim vanh khuyen) – Nguyen VAN THONG et Tran VU – 1962

L’homme qui cherche la chance (nguoi cau may) – Tran VU – 1991

Chom et Sa – Pham KY NAM – 1979

Quand viendra le 10ème mois (bao gio cho den thang muoi) – Dang NHAT MINH – 1984

Troupe de cirque ambulant (ganh xiec rong) – Viet LINH – 1988

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