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Compétition internationale
46e édition
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Hommage à Tchinguiz Aitmatov

Je dirai d’entrée que j’aime les nouvelles de Aïtmatov et me refuse à considérer avec indulgence les adaptations cinématographiques des oeuvres littéraires. Elles incitent rarement à la (re-)lecture quand elles ne vous détournent pas du livre. Rares sont dans le monde les cinéastes qui ont réussi à transposer et recréer. Leur métier et les traditions cinématographiques de leur pays ne sont pas une garantie. Tout cela pour expliquer cet article d’humeur qui serait certainement le même s’il s’agissait de Stendhal, Pouchkine, Maupassant, Tchékhov à l’écran. Cette conception (« élitiste », « bourgeoise », etc.) n’est pas partagée par notre auteur qui sacrifie consciemment les facettes les plus brillantes de son talent à un cinéma correspondant au développement culturel de son peuple. C’est indubitablement bénéfique au cinéma kirghize tant que son oeuvre littéraire repoussera toujours plus loin les barrières du toléré.

C’est donc un écrivain qui préside aux destinées du cinéma kirghize. Aïtmatov est Président de l’Union des cinéastes depuis plus d’une décennie. On peut également dire qu’il est le coeur de la vie littéraire, artistique, sociale et politique de sa République. Il serait prématuré de le comparer à Malraux, Senghor, Neruda. Il se trouve que son épanouissement coïncide avec le réveil culturel de son pays.

Il a 14 ans lorsque sont créés les studios KIRGHIZFILM (1942).Il se rode brillamment dans le documentaire alors qu’il exerce la profession de vétérinaire et traduit dans sa langue maternelle des romans russes traitant de la guerre. Lorsque les premiers cinéastes non-kirghizes viennent travailler à Frounzé pour MOSFILM, il est étudiant à l’Institut littéraire Gorki de Moscou et va être admis à l’Union des écrivains de l’U.R.S.S. (1957). Tandis que Pronine tourne Saltanat il publie Djamilia(1958) dans la meilleure revue littéraire Novy Mir, le cinéma ne s’en emparera qu’en 1969. L’Ukrainienne Larissa Chepitko tourne Chaleur torride en 1963, l’année où il obtient un prix Lénine de
littérature pour Mon petit peuplier au fichu rouge, L’oeil de chameau et Le premier maître. Ces quatre premières oeuvres et Le Champ maternel (1963) sont écrites en
kirghize, puis traduites en russe par l’auteur (bilingue depuis l’enfance) et Mme A. Dimitreva. Le genre littéraire adopté, la nouvelle (entre 30 et 50 pages) indique que l’auteur s’attache à un personnage central et aux quelques êtres et événements qui ont influencé sa vie. L’action et les héros sont kirghizes. Pourquoi les jeunes cinéastes de Kirghizie ont-ils longtemps laissé de côté ces oeuvres désignées à l’attention générale par des distinctions officielles et une presse absolue (très partagée)?
Parce qu’ils ne se sentaient pas à la hauteur de la tâche, sur les plans cinématographiques et littéraires.

Une chose est de traiter un sujet kirghize selon les conceptions de l’Union des cinéastes de l’URSS qui primaient alors, c’est-à-dire schématiquement, représenter les vies nationales à partir de positions de classe. Les films doivent avoir une originalité nationale (kirghize, moldave),mais ils doivent également refléter le développement socialiste des nations et de la conscience nationale, la communauté des positions de classe et des aspirations sociales des travailleurs des diverses nationalités. Aucun d’entre eux ne présente l’élément national de la vie populaire en dehors de son développement social. Pour résumer, le personnage contemporain moldave ou kirghize est intéressant dans la mesure où il pense en »homo sovieticus ».

Autre chose est de porter à l’écran une oeuvre littéraire gorgée de sucs kirghizes, lyriques, philosophiques, centrée sur l’étude du « métier » d’homme. L’homme est conçu comme universel, et non kirghize ou soviétique.

On comprendra que, face à cette conception, admirable mais commune à tous les grands créateurs, les cinéastes orthodoxes, nombriliques ou à la recherche d’un langage typiquement kirghize, nous laissent sur le reculoir. Un scénario de Aïtmatov, toujours réducteur du livre, pour les raisons que nous savons, permet un bon film, rien de plus.

C’est un Russe, étudiant à l’institut du cinéma de l’URSS(V.G.I.K.), qui tourne Le Premier maître comme film de fin d’études, en 1966. Il faut le talent protéiforme d’Andréï Mikhalkov-Kontchalovski pour faire de cet essai une réussite éclatante, à mon avis inégalée par les oeuvres de Aïtmatov. Kontchalovski s’imprègne de la richesse littéraire et trouve l’expression cinématographique adéquate. Il rendra aussi bien, dans des styles différenciés, Tchékov, Oncle Vania, et Tourgueniev Le nid des gentilshommes. La nature kirghize s’impose aux personnages et aux spectateurs, comme la taïga de Siberiade. L’air de l’époque est authentique, comme dans Esclave de l’amour. La psychologie est aussi profonde que dans Andréï Roublev (on sait qu’il sera le scénariste de ces deux derniers films). Peut-on comparer l’autre grand film kirghize tourné, la même année, par Okeev Le Ciel de notre enfance ?

C’est encore un Russe, très expérimenté, Sergueï Ouroussevski, qui porte à l’écran, en 1968, « Adieu Goulsary », la plus longue nouvelle (91 pages) de Aïtmatov, écrite directement en russe en 1966. Cette oeuvre, couronnée par un prix d’Etat de l’URSS,

évoque toutes les questions politiques et morales que le héros se pose sur son action au kolkhozedepuislacollectivisationdescampagnes.LescénariodeAïtmatovémasculele livre où les existences de l’homme et du cheval Goulsary sont également volontaristes et brisées. Le cinéaste se grise d’effets spéciaux sur les couleurs et privilégie la passion amoureuse et la course à la carcasse du bouc. Le film est tel un hymne au cheval. Aïtmatov se serait-il laissé complexer par ce vieux routier du cinéma ? Un remake s’imposerait.

Je ne me rapelle pas très bien le film que Irina Poplavskaïa, une Russe encore, a tiré, en 1969 de Djamilia, mais les critiques cinématographiques pillent la préface écrite dix ans plus tôt par Aragon pour célébrer la plus belle histoire du monde. Je cite « dans ce PAris qui a tout vu, tout lu, tout éprouvé, brusquement , ni Werther, ni Bérénice, ni Antoine et Cléopâtre, ni Manon Lescaut, ni L’Education Sentimentale ou Dominique ne me sont rien, parce que j’ai lu Djamilia, plus rien Roméo et Juliette, plus rien Paolo et Francesca, plus rien Hernani et Doña Sol, parce que j’ai rencontré Darniar et Djamilia, dans l’été de la troisième année de la guerre, dans cette nuit d’août 1943, quelque part dans la vallée du Kourkouréou, avec leurs chariots à grain et l’enfant Seït qui raconte leur histoire ». Dix pages de cette veine pourraient faire perdre de vue qu’il s’agit pour l’héroïne de prendre en main son destin de femme, c’est-à-dire d’être humain, en faisant fi des interdits caducs qui régissaient encore la société rurale kirghize durant la guerre.

Je n’ai pas vu le film que Bazarov a tiré de Le Champ Maternel (1963). Ce beau livre est une série de confidences tragiques, parfois heureuses, faites par une vieille femme à la terre nourricière et compatissante. Le découpage est apparemment simpliste : bonheur conjugal et maternel, guerre, mort au front du mari et des trois fils. Le « flash-back’ est érigé en système. Il serait imprudent de filmer cela au ras des coquelicots. Tout est dans la mélopée. Comment a-t-il pu rendre en images ce chant profond ?

Pousserais-je l’imprudence, en parlant des deux derniers films disponibles en France : Le Bateau blanc de Bolot Chamchiev et La Pomme rouge de Tolomouch Okeev, jusqu’à dire qu’il était téméraire d’affronter le premier et qu’il eût été souhaitable de montrer de plus de hardiesse dans le second ?

On connaît la richesse de la nouvelle intitulée Le Bateau blanc (1970). Il est, dans le rêve éveillé perpétuel du garçonnet, l’image du père absent et d’un monde nouveau qui existerait au loin. Les transformations imaginaires de l’enfant en poisson suivant le cours de la rivière qui dévale les montagnes vers le lac ne sont que la préfiguration de son suicide. Le prétexte ? La lassitude des hautes terres où n’en finit pas de mourir le monde patriarcal avec ses problèmes de stérilité, de virilité humiliée, d’alcoolisme, de trafics, de compassion bafouée. Le progrès bouscule là les seuls points d’ancrage. Il eût fallu bien du génie pour combiner Le Petit Prince, Le Grand Meaulnes et Les Misérables (entre autres). On pense parfois à Peter Pan, quand il ne faudrait pas. Le compositeur d’avant-garde Schnitke donne le ton avec « une musique de film », là où devrait venir un lied schubertien.

On trouve dans La Pomme rouge plusieurs thèmes abordés par Tchékhov dans La Mouette : la création artistique, le bonheur individuel, familial et national, l’enfant d’artistes. Le couple séparé du peintre et de la présentatrice de télévision est peu attachant, mais leur fillette trouvera la dernière pomme rouge. En l’offrant à sa mère, elle renouera le fil brisé des sentiments. L’atmosphère est potentiellement tchékhovienne. Or tout reste en-deçà. Comme dans tous les films, la réalité soviétique se taille la part du lion. Elle est présentée à la télévision par des cultivateurs émérites, décorés comme des sapins du nouvel an.
Ils vantent la production de coton à l’époque Brejnev, Kossyguine, Podgorny dont on voit les portraits monumentaux. L’héroïne pense à autre chose. De son côté, le peintre songe peut-être aux richesses culturelles du peuple kirghize en regardant un barde réciter l’épopée du Manass, à la télévision-alibi, et en contemplant ses tableaux hyper- figuratifs sur le passé mythique des Kirghizes. Nous sommes dans la ligne.

Tout cela semble confirmer la thèse selon laquelle seul un cinéaste d’exception peut repenser par le cinéma l’oeuvre de Aïtmatov, car il ose se libérer des entraves que s’impose et lui impose l’auteur, devenu scénariste. On dira que ce bilan fait peu de cas de l’atmosphère particulière, du rythme original de ces films. Je répondrai qu’ils donnent l’envie d’en connaître d’autres où la langue kirghize donnerait à la version originale un supplément de saveur d’âme. Le talent des réalisateurs n’est pas en question car leurs films, réalisés sur d’autres sujets moins ambitieux, sans Aïtmatov, sont plus attachants que ceux-ci. Okeev, Chamchiev et leurs cadets bénéficient du « climat esthétique » créé par l’homme Aïtmatov et par ses oeuvres, du pont qu’il a jeté entre les traditions culturelles kirghizes et le monde socialiste. Nous avons vu l’attrait qu’il avait exercé sur les cinéastes russes, facilitant ainsi une interaction bénéfique des cinémas des quinze républiques. Il semble, au total, qu’il fascine et hypnotise les créateurs, sans le vouloir. Un conseil s’impose : voir les films avant de lire les oeuvres. Cette recette universelle permet de goûter sereinement le cinéma kirghize et donne une image très fiable des lieux et des personnages évoqués dans les nouvelles. Il va sans dire que l’oeuvre et l’écrivain sont infiniment plus riches et plus complexes. Cet article ne visait pas à faire des cinéphiles. Il aura atteint son but s’il les incite à lire l’oeuvre pour aller revoir les films.

Serge POPOFF

Dans le cadre de son hommage, Tchinguiz Aïtmatov a souhaité présenter un film auquel il tient tout
particulièrement : « Le Ciel de notre enfance » de Tolomouch Okeev, film très proche de l’esprit de ses oeuvres.

Tchinguiz Aïtmatov, écrivain soviétique de nationalité kirghize, figure parmi les auteurs les plus lus du monde et est considéré comme un des représentants les plus prestigieux de la littérature soviétique.

Il a écrit les romans suivants :
Djamilia (1959)
Mon petit peuplier(1964)
Le premier maître (1964)
Adieu Goulsary(1968)
Il fut un blanc navire
(1971)
Souris bleue, donne-moi
de l’eau
(1978)
Une journée plus longue
qu’un siècle
(1982)
Les Rêves de la louve (1987)
L’oiseau migrateur/Face à face (1989)
Le Petit nuage de Gengis-Khan (1991)

Le roman Une journée plus longue qu’un siècle a été traduit dans le monde entier, y compris en chinois. Et en 1982, il a obtenu le Prix du meilleur livre étranger en Italie.

En outre, Tchinguiz Aïtmatov a été élu à
l’Académie européenne des Sciences, des Arts et des Lettres à Paris. Cette Académie réunit les
représentants de trente-trois académies nationales
d’Europe. Plusieurs de ses membres sont lauréats de
Prix Nobel.

Le ciel de notre enfance (bakai pasture) – Tolomouch OKEEV – Kirghistan – 1967

La chaleur torride (znoj) – Larissa CHEPITKO – Kirghistan – 1963

Le premier maître (pervyj ucitel’) – Andrei KONTCHALOVSKI – Russie – 1965

Djamilia (dzamilja) – Irina POPLAVSKAIA – Russie – 1969

Le bateau blanc (ak keme) – Bolot CHAMCHIEV – Kirghistan – 1975

Les premières cigognes (rannie zuravli) – Bolot CHAMCHIEV – Kirghistan – 1980

Le chien pie qui court au bord de la mer (pegi pios, biegouchi kraiem moria) – Karen GEVORKIAN – Arménie/Ukraine – 1990

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