C’est un sous-genre cinématographique ayant ses origines étymologiques en français, « pochade », et en italien, « cianciata ». Les Chanchadas sont nées simultanément dans plusieurs pays, latino-américains en particulier, mais n’ont connu une très forte popularité qu’au Brésil. Cette popularité reposait sur leurs qualités musicales, carnavalesques même. D’ailleurs, l’histoire de la Chanchada est étroitement liée à celle de la médiatisation du carnaval brésilien, laquelle a évidemment commencé avec la naissance du cinéma parlant au Brésil. Les Chanchadas, qui étaient programmées à l’écran juste après le Mardi Gras brésilien, étaient des rendez-vous attendus par le public presque autant que les parades des écoles de samba le sont aujourd’hui. En plus de leur fonction de divertissement, elles jouaient le rôle de véritable vitrine des sambas et des parades, avec un impact plus grand que celui des salles des fêtes des grands hôtels. Leur ton naïf enchantait les enfants et leur humeur malicieuse amusait les adultes, tandis que les interludes romantiques et musicaux achevaient le cycle de séduction familiale. Au début pourtant, la Chanchada n’existait que sous forme de « film musical », version tropicale des feuilletons hollywoodiens tels que Broadway Melody, produit par la Cinédia à Rio de Janeiro. Mélangeant les scènes réelles du carnaval populaire à celles tournées en studio, Adhemar Gonzaga et Humberto Mauro ont ouvert la voie avec A voz do Carnaval (La voix du carnaval), tourné en 1933- Durant les années qui ont suivi, le duo Gonzaga/Wallace a assuré la continuité avec la série Alô, Alô Brasil ; Alô, Alô Carnaval, avec, en vedette, les plus grands noms de la musique populaire brésilienne de l’époque : Carmen Miranda, Francisco Alves et Orlando Silva. 1941 : nouveaux studios, nouvelles perspectives. Sur les scènes de l’Atlantida, la Chanchada prospère enfin, assurant par la même occasion à l’industrie cinématographique brésilienne deux décennies de prospérité inégalable. Fondée par un groupe de jeunes idéalistes, l’Atlantida produira en vingt ans d’activités deux documentaires et soixante-deux films de fiction. C’étaient principalement des comédies carnavalesques pourvues de plus de désinvolture que les feuilletons. Watson Macedo fut le premier maître de cette école, avec Carnaval no Fogo (Carnaval au feu), tourné en 1949 et qui tracera la voie définitive de la Chanchada : une intrigue policière, un couple romantique, un duo de comiques, des gangsters à l’américaine, avec un fond d’ambiance de « show-business », en vue de donner un aspect plus naturel et fluide aux interventions musicales. Le grand atout de la « M.G.M. brésilienne » était son infrastructure modeste, comparée au modèle des centres de productions hégémoniques. Cette infrastructure était néanmoins plus solide que celle des autres studios du Brésil. Avec l’entrée de Luiz Severiano Ribeiro (directeur de parades) en 1947, la société a pu maintenir sous contrat un groupe de techniciens et d’artistes, tout en s’appuyant sur un circuit de salles pour la diffusion des films à travers tout le pays. Au cours de ses années de gloire, la Chanchada n’a jamais été sérieusement concurrencée ; les super productions américaines ne les faisaient même pas frissonner. En 1956, le film Colegio de Brotos de Carlos Manga a drainé vers les salles 30 000 spectateurs de plus que L’exorciste 18 ans plus tard. Carlos Manga, qui continue encore aujourd’hui à exercer ses talents sur T.V. Globo – la principale chaîne de télévision brésilienne -, sera à la fois le plus inquiet, astucieux et important metteur en scène de l’Atlantida. Ce disciple de W. Macedo et José Carlos Burle (co-fondateur et actif cinéaste de l’Atlantida) a signé les meilleures Chanchadas de tous les temps : Matar ou Correr et Nem Sansao nem Dalila en 1954, De Vento em Popa en 1957 et O Homem do Sputnik en 1959. Il n’a rien inventé d’original ; ce n’était d’ailleurs apparemment pas son but. Son originalité se limitait à reproduire les effets les plus efficaces des films étrangers. La compétence technique investie dans cette pratique dotait les films d’un certain éclat. Son plus grand mérite ? Avoir réussi une sorte d’autocritique (du genre cinématographique et de sa propre formation culturelle américaine) à travers la parodie. C’est grâce aux Chanchadas que des comédiens tels qu’Oscarito, Grande Otelo, Zé Trindade et Ankito sont devenus des célébrités nationales et, pour certains, internationales, jouissant de la même notoriété que les idoles, Anselmo Duarte, Cyl Farney, la jeune Eliana et l’emblématique « méchant » José Lewgoy. Celui-ci sera adopté plus tard par divers cinéastes de la nouvelle génération, parmi lesquels Glauber Rocha, dont l’œuvre majeure reste Terra em Transe, dans laquelle Lewgoy joue le rôle d’un dictateur populiste particulièrement flamboyant. Anselmo Duarte, il faut le rappeler, essaiera de maintenir la tradition en dirigeant une comédie quelque peu néo-réaliste, Absolutamente Certo, son baptême de feu derrière les caméras. Il sera ensuite couronné de l’unique Palme d’Or du cinéma brésilien au Festival de Cannes avec La parole donnée. La prose d’un côté, la poésie de l’autre. Comme l’eau et l’huile, musique (poésie) et fiction (prose) ne s’associaient pas dans les Chanchadas. D’une façon générale, on n’arrivait pas à déterminer celle des deux qui servait réellement de support ou d’appendice : les séquences musicales ou les péripéties qui les intercalaient ? La question restait toujours posée. Il faut préciser qu’aucune valeur particulière n’était attribuée à la chorégraphie qui n’a jamais été une grande préoccupation aussi bien pour l’Atlantida que pour les autres groupes. Le développement et le perfectionnement des vocations pour ce métier n’ont d’ailleurs pas suscité beaucoup d’intérêt. Comme dans les spectacles de revues, les ballets remplissaient exclusivement le rôle de « rideaux musicaux » destinés à faciliter la composition du scénario ou briser la continuité. Dans certaines Chanchadas, les séquences musicales n’étaient même pas nécessaires : l’intrigue se passait d’éléments additionnels, exactement comme dans une comédie ordinaire, sans toutefois sortir le fil conducteur de sa « carnavalisation ». Dans Nem Sansao nem Dalila, par exemple, personne ne chante. Ce film, qui est par ailleurs la plus grande réussite du genre, est à la fois une parodie épique de La Bible de Cecil B. de Mille et une satire du populisme de Gétulio Vargas (dictateur du Brésil entre 1937 et 1947, élu démocratiquement en 1950). Tourné peu avant le suicide de Vargas (sous la pression politique, il s’est donné la mort, en 1954, d’un coup de pistolet à la poitrine), Nem Sansao nem Dalila demeure un classique du cinéma politique brésilien. Sansao, magnifiquement interprété par Oscarito représente Vargas, avec tous les tics gestuels et rhétoriques de l’ancien dictateur. Sa prestation doit beaucoup à Marc Twain, le personnage de A Connecticut Yankee in King Arthur’s Court et Roman Scandals, une comédie de Eddie Cantor. Le ton reste cependant brésilien. Au cours de la même année, Carlos Manga a été l’auteur d’une autre remarquable parodie : Matar ou Correr, parodie explicite du polémique western High Noon (Le train sifflera trois fois). Sa principale source d’inspiration était les ripailles de Bob Hope dans Le vieil Ouest, à la fin des années 40. Matar ou Correr sera plus tard l’émule d’une autre Chanchada : Pistileiro Bossa Nova de Victor Lima, produit par Herbert Richers, au milieu des années 50, lorsque la Chanchada s’était affranchie de l’exclusivité de l’Atlantida. La Chanchada est un phénomène qui n’a pas son pareil dans le cinéma brésilien. Son déclin est marqué par l’arrivée de Richers et d’autres producteurs indépendants. Ils se sont lancés dans la production sans pour autant disposer de gros moyens ni de scénarii intéressants. C’est au cours de cette période que le vaudevillesque et naïf Oscarito passe le bâton au radiophonique et libertin Zé Trindade, le dernier démon du cinéma carnavalesque. Au son de ses malicieux – pour ne pas dire obscènes – sourires, la Chanchada mourra au début des années 60. Une victime de plus de la télévision, qui, ne se contentant pas d’éloigner le public des salles, ira jusqu’à s’approprier les services des plus talentueux de la comédie cinématographique. De toute façon, la formule était déjà épuisée ; la télévision ne s’est limitée qu’à l’enterrer.
Sergio AUGUSTO