Carlos Hugo Christensen est né à Santiago del Estero, en Argentine. Une grande partie de cette région a été conquise par les Incas du Pérou, c’est pourquoi leur langue la quechua est encore parlée dans cette province. Christensen, descend d’émigrés danois du côté paternel et du côté maternel d’Argentins d’origine méditerranéenne, les Bravos Contreras, ancrés depuis des siècles dans le pays. Enfant, il est sensible à cette mystérieuse façon de parler. Son sang est un étrange mélange de pampa argentine, des Incas fils du Soleil et des Vikings du Danemark.
Il suit sa famille à Lomas de Zamora, une localité près de Buenos Aires. A cette époque, Christensen, âgé d’environ douze ans, reçoit un cadeau singulier : un petit projecteur de cinéma avec un très court et unique film que l’enfant visionnera de nombreuses fois. A 16 ans, il organise et dirige au « Cinéma espagnol » de Lomas Zamora pour les fêtes de fin d’année, un spectacle musical avec des élèves de son ancienne école primaire. A 18 ans, il écrit un petit recueil de poèmes El libro del primer amor remarqué dans la rubrique littéraire de quelques journaux portuaires. Il publie des contes cette même année, apparaît comme critique de cinéma dans une radio de Buenos Aires, fait du journalisme dans la populaire revue « Sonido ». A 20 ans, il écrit un spectacle musical (dirigé par Georges Andreani, qui en Europe avait créé la bande sonore du « Golem » de Julien Duvivier) et politique intitulé Manicomio (Asile d’aliénés) dont la première a lieu au Teatro Avenida, l’un des plus importants théâtres de Buenos Aires. La critique est très sévère avec la pièce du jeune auteur, et l’accuse principalement d’irrespect vis-à-vis des chefs d’Etat de l’époque : Hitler, Mussolini, Franco, etc.
A la veille de la 2eme Guerre mondiale, il crée un groupe théâtral « Compania juvenil de arte » dont feront partie Délia Garcez, Quieca Herrero, Hugo Pimentel, Munoz Azpiri, Alita Roman, Inès Edmonson, Mario Lugones…Toutes ces personnalités seront reconnues dans le monde du spectacle. La troupe se produit à la « Radio Spléndid », à l’époque la plus prestigieuse des radios de Buenos Aires. C’est un succès. Deux séries de programmes mémorables de Christensen suivront : celle des plus beaux poèmes théâtralisés (Reviviendo la emocion de los grandes poemas) et celle concernant l’émotion dramatique du tango (Reviviendo la emocion del tango). En 1939, il crée un troisième programme Le teatro de misterio volcan, inspiré des histoires policières du fameux américain S.S. Van Dine. Ce dernier succès lui ouvre les portes dorées du cinéma argentin, qui connaît alors un essor surprenant dans les années 40, juste derrière le cinéma américain. Ces fonctions de réalisateur, scénariste et dialoguiste, exercées pendant trois ans par Christensen au sein des programmes, l’aideront par la suite à relever cet immense défi qu’est le cinéma. Benjamin Gâche, P.D.G. de la radio « Spléndid » présente Christensen à José Guerrico, P.D.G. des studios « Lumiton », lesquels constituent avec « Argentina Sono film », les deux plus importants studios de l’histoire du cinéma argentin.
Christensen et ses camarades de radio viennent de finir un petit film amateur en16mm El buque embotellado (Le navire en bouteille). Il est projeté à Muro, banlieue de Buenos Aires, où se trouvent les studios Lumiton. Il entre ainsi comme assistant au tournage de Asi es la vida (Ainsi est la vie), dirigé par Francisco Mugica. Habitant près des studios, il essaie de percer les secrets d’un tournage, touche à tout et fait preuve de curiosité.
Peu après son arrivée à la Lumiton, il réalise son premier film. Le 4 septembre 1940 sort El Inglés de los güesos (l’Anglais des os) inspiré du roman éponyme de Benito Lynch, grand écrivain de la pampa. C’est la consécration de Christensen « un garçon d’à peine 20 ans. » L’excellent accueil fait au film de la part des critiques comme du public incite la Lumiton à passer avec le réalisateur un contrat d’exclusivité de 10 ans. Christensen est aimé et admiré par le personnel du studio Lumiton et cette affection est également partagée par le public et la presse argentine qui se souviennent toujours de lui, même s’il habite depuis plus de 38 ans au Brésil. Ses films sont souvent diffusés à la télévision argentine. Dans son seul pays d’origine, il a réalisé 26 films entre les années 40 et 53. Parmi ses films les plus remarqués, on trouve Los chicos crecen (Les enfants grandissent – 1942). Safo, historia de una pasion (1943) ; cette adaptation du célèbre roman d’Alphonse Daudet a été un succès mondial avec la célèbre actrice Mecha Ortiz. Sapho inaugure l’érotisme dans le cinéma argentin et reste un an à l’affiche à Buenos Aires ; fait école, influençant l’Amérique du Sud, l’Amérique centrale et le Mexique. La première au Brésil a lieu au cinéma « Maraba » de Sao Paulo. Christensen déjoue la censure argentne, en terminant astucieusement son film par la phrase qui ouvre le roman d’Alphonse DAudet » Pour mon fils, quand il aura 20 ans » Mais il ne réussira pas à leurrer les censeurs pour les premières des films Adan y la serpiente (Adam et le serpent – 1945) et El angel desnudo (L’ange nu – 1945). La police ferme les cinémas et les films sont présentés après les coupures exigées. « El angel desnudo » est tourné à Rio de Janeiro ; c’est la première fois que le cinéma argentin filme en dehors de ses frontières et montre un « nu ». La pequena senhora de Pérez (La jeune Madame Pérez – 1944) est la première incursion de Christensen dans le genre de la comédie, il connaît un tel succès qu’il réalise une deuxième partie intitulée La senora de Pérezse divorcia (Madame Pérez divorce). Los pulpos (Les pieuvres – 1948), inspiré du roman du même nom de Marcelo Peyret, est le premier film tourné dans les rues de Buenos Aires en décors naturels ( comme aux USA les studios argentins ddes années 30 et 40 écrivent des scénarios pour des décors entièrement reconstruits dans les hangars traités acoustiquement pour des enregistrements en son direct). Il faut souligner que parmi les films policiers classiques du cinéma argentin, figurent ceux de Christensen : La muerte camina en la lluvia (La Mort marche sous la pluie 1948), La trampa (Le piège – 1949), No abras nunca essa puerta (N’ouvre jamais cette porte – 1952), Si muero antes de despertar (Si je meure avant le réveil -1952) considéré par certains critiques comme son meilleur film.
Au Chili, il a tourné La dama de la muerte (La dame de la mort – 1946), inspiré du conte Le club des suicides de Robert Louis Stevenson. (Du fait de son extraordinaire reconstitution de l’époque victorienne, ce film a été acheté par un musée britannique.) En 1950, il tourne au Vénézuela une comédie El démonio es un angel (Le démon est un ange) à l’origine de l’activité cinématographique dans ce pays, puis La balandra Isabel llego esta tarde (La goélette Isabel est arrivé cet après-midi – 1951), un superbe film qui reçoit le prix de la meilleure photographie au Festival de Cannes en 1951. Il est présenté au Festival des 3 Continents en 1989.
Son dernier film argentin est Maria-MAgdalena (1953) tourné au Salvador et dans le château d’Avila, à Bahia. Il faut souligner le fait que Christensen avait déjà réalisé, à Rio de Janeiro El angel desnudo en 1951. Prémonition ou simple coïncidence ? En 1954, le réalisateur argentin est exilé à Sao Paulo pour des motifs politiques. Des mésententes à l’intérieur du gouvernement totalitaire péroniste éclatent quand les Brésiliens sollicitent Maria Magdalena pour représenter l’Argentine au festival international de Sao Paulo, empêchant ainsi les fonctionnaires liés au régime d’envoyer le film d’un autre réalisateur. Christensen est alors mis à l’écart par la délégation argentine.
Il continue alors sa carrière au Brésil, encouragé par Roberto Acacio, acteur et producteur de Rio. Il s’associe à ce dernier et tourne son premier film brésilien : Maos sangrentas (Mains ensanglantées – 1954), tiré d’un fait divers : l’évasion de la prison de l’île de Anchieta. Le film a beaucoup d’impact par son rythme et son extrême violence. Ce genre cinématographique sera repris par les Américains deux décennies plus tard. Maos sangrentas représente le Brésil au festival de Venise (1955), où beaucoup de spectateurs choqués quittent la salle. La préfecture de Rio de Janeiro prime Christensen comme le meilleur réalisateur de l’année. Par la suite, il réalise Leonora dos sete mares (Leonora des sept mers ) En 1956, il crée, avec Antonio Cavalheirolima,, l’entreprise de production EMECE à Sao Paulo. Néanmoins les trois films, que cette nouvelle entreprise produit sont tournés à Rio de Janeiro : Meus amores no Rio (Mes amours à Rio 1957), MAtematica O amor et Amor para tres. Ces films ont très bien acceuillis, et Susana Feyre devient célèbre. Avec Meus amores o Rio, Esse Rio que tu amo, Christensen réalise avec Paulo Serrano Cronica da cidade amoda complétant ainsi une tri logie sur Rio de Janeiro. Grâce à Esse Rio que tu amo, il gagne la médaille du Carioca (habitant de Rio). En 1963, il tourne O rei Pele (Le roi Pélé) avec Nelson Rodriguez et réalise le court métrage Bossa Nova. Ensuite, avec Paulo Serrano, il tourne Viagem aos seios de Duilia (Voyage au sein de Duilia – 1964) d’après un conte de Anibal Machado et remporte le prix du meilleur film de l’année.
En 1966, il crée sa propre maison de production, Carlos Hugo Christensen Produçôes Cinematograficas qui produit O Memino eo vento (L’enfant et le vent), inspiré du conte d’Anibal Machado, un de ses écrivains préférés. Anjos e demonios (Anges et démons – 1969), dont le scénario policier et les scènes érotiques ont un énorme succès, et qui marquent les débuts du cinéma érotique brésilien. La qualité du film a permis, même en cette époque de dictature militaire, qu’il soit diffusé entièrement, malgré certaines scènes osées. En 1973, Christensen surprend avec Caingangue, a pontaria do diab (Caingangue; l’adresse du diable ) une aventure de type western, avec des implications sociales de l’époque où il y a des mélanges de racines brésiliennes et paraguayennes. Il reprend peu après le cycle « mineiro ». Pendant ses tournages, il tombe amoureux de Minas Gérais, Etat qui se trouve au sud-est du Brésil. Il y découvre les vraies racines brésiliennes.
Il s’y intègre totalement, devient « mineiro » de coeur et réalise deux films supplémentaires dans cet Etat: Enigma para demonios (Enigmes pour les démons – 1975) et A mulhrer do desejo (La femme du désir – 1977). En 1979, il réalise A intrusa (L’intruse) d’après un conte du même nom de Jorge Luis Borges, scénario de Christensen et musique de Astor Piazzola. Avec ce dernier, Christensen aura réalisé 18 longs métrages et un court métrage au Brésil. En 1982, il tourne entièrement Somos? (Sommes-nous ?), sur la place Ricoleta, un des plus beaux lieux de cette ville.
Après une longue pause, Christensen signe un contrat, en 1986, avec une entreprise de Buenos Aires pour réaliser A casa de açucar (Une maison de sucre), première coproduction internationale officielle entre le Brésil et l’Argentine d’après la convention signée par les deux pays en 1968. Le projet est approuvé par le Concine (Conselho Nacional do Cinéma) de Rio de Janeiro et par I.N.C. (Instituto Nacional de Cinematografia) de Buenos Aires. Il commence alors une lutte acharnée pour libérer les fonds promis par ce contrat. Finalement, les fonds sont débloqués en 1990. La date du début du tournage est fixé à Rio pour mi-avril. Mais, au mois de mars, Collar est élu président et son gouvernement n’approuve pas la politique culturelle du pays. Le projet est abandonné.
Biographie par Mario GALLINA