Le langage trouve ses racines dans le désir profond de communiquer. mais il est aussi une forme d’art spécifique qui, au cinéma, touche plus souvent l’âme que l’ouïe et pénètre cet espace bien particulier où la simple perception devient complice de l’attente, de la curiosité et du rêve.
Un scénario est comme une flèche inattendue, un parcours intérieur où la parole peut se détacher de l’esprit du personnage filmé, pour atteindre son interlocuteur en même temps que le spectateur dans la salle. creuset culturel qui utilise une langue commune, le scénario ne renonce cependant pas à véhiculer, par le souffle, la voix, l’intonation, toute l’histoire et la vie d’un personnage.
Cette idée d’un langage commun qui tienne compte de la personnalité de chacun, de son passé, de ses aspirations, de ses choix quotidiens, est l’un des fondements de l’union latine, organisation intergouvernementale regroupant 34 états de langue et de culture néo-latines et ayant pour vocation de promouvoir et de diffuser l’héritage et les identités du monde latin.
Découvrir ou redécouvrir les scénaristes du mexique qui ont su transformer admirable-ment les mots en paroles dans des films incontournables comme Macario, Canoa, La Mujer de Benjamin, Danzon et Mentiras piadosas, nous a paru être l’occasion de plonger dans l’histoire du cinéma mexicain, encore – malheureusement – trop méconnu.
C’est donc tout naturellement que le programme audiovisuel de l’union latine a décidé de soutenir la rétrospective consacrée aux scénaristes mexicains, dans le cadre du festival des 3 continents qui, depuis plus de vingt ans, offre aux cinématographies latines de tous horizons – parmi d’autres – une vitrine et un tremplin uniques.
Engagé dans le soutien à nombreux festivals internationaux, dans la restauration de films, la formation professionnelle, la constitution d’un réseau de salles, le programme audiovisuel participe à des manifestations culturelles qui permettent au cinéma des pays latins de sortir de ses frontières et de tracer un nouveau chemin, ouvert sur des milliers d’autres.
La rétrospective dédiée aux scénaristes mexicains est donc pour le programme audiovisuel de l’union latine une nouvelle étape qui participe de la diffusion de la connaissance des cultures d’origine latine.
Elle permet de nourrir à nouveau les différences et les similitudes qui composent une page d’histoire commune, telle celle d’un scénario, chaque fois différent, mais toujours doté d’une grande puissance évocatrice.
Geraldo CAVALCANTI
Secrétaire Général de l’Union Latine
Giuliano SORIA
Coordinateur du Programme Audiovisuel
Le mot de Philippe Jalladeau
John Huston, à qui j’avais un jour demandé « Que faut-il pour faire un bon film ? « m’avait répondu : « il faut trois choses. D’abord une bonne histoire, ensuite une bonne histoire, enfin une bonne histoire ».
Boutade peut-être, mais nul ne doute qu’une bonne histoire est une condition nécessaire (mais non suffisante) pour faire naître un bon scénario, puis accoucher d’un bon film.
Que dirait John Huston s’il pouvait analyser le cinéma mondial en cette fin de siècle : sans doute qu’il y a peu de bonnes histoires, donc peu de bons scénarios et par conséquent de bons films. C’est bien sûr un problème qui nous préoccupe et dans certains de nos 3 continents, plus que partout ailleurs. L’Amérique latine nous semble particulièrement touchée avec des scénarios coincés entre, d’une part ceux des séries télévisées (réalisme à bon marché) et ceux du cinéma américain (sujets ambitieux mais traitements stéréotypés). Place réduite pour des scénarios et un univers personnel, les auteurs ayant du mal à résister à une pollution environnementale.
Du fait de sa situation – proximité des USA et importante production télévisuelle – le Mexique est à ce titre dans une situation plutôt symptomatique, mais ce qui est intéressant c’est qu’il possède jusqu’à ce jour une réelle capacité de résistance et un renouvellement scénaristique permanent et inscrit dans l’histoire.
Les scénaristes sont des gens de l’ombre qui n’ont que rarement été reconnus, leur travail n’étant que transitoire et sous-terrain et comme a dit Jean-Claude Carrière parlant du scénario : «la chenille disparaît pour donner naissance au papillon : le film que nous voyons». Pourtant le public sait reconnaître une histoire intéressante bien menée. Il nous a donc fallu retrouver à travers tous les films, le travail qualitatif et spécifique des scénaristes pour pouvoir effectuer une sélection. Bien sûr autant le scénariste-réalisateur, auteur à part entière est facile à cerner, ainsi que le scénariste qui écrit pour un réalisateur dans une réelle indépendance, autant le scénariste-collaborateur d’un cinéaste, traduisant ses intentions (c’est le cas des scénaristes de Bunuel), a une part personnelle d’écriture qui reste toujours difficile à évaluer.
Quoiqu’il en soit, dans l’histoire du scénario mexicain, nous avons finalement porté notre choix sur quinze scénaristes dont le travail nous a paru suffisamment personnel et significatif pour les considérer comme des créateurs à part entière, ayant jalonné l’histoire du scénario mexicain.
Philippe JALLADEAU
Histoire du scénario mexicain
Il est vrai que le scénariste est l’auteur d’un ouvrage existant : cela constitue la nature de son vrai travail. L’œuvre cinématographique n’existe pas lorsqu’elle est couchée sur le papier mais seulement lorsqu’on la trouve en termes audiovisuels, seulement lorsqu’elle existe dans le temps et dans l’espace : sur l’écran, après avoir été réalisée. L’œuvre cinématographique n’a pas la même existence que l’œuvre littéraire.
D’ailleurs, de manière contradictoire, elle ne pourrait pas exister sans un scénario et cela à tout niveau, même d’un point de vue pratique : sans le scénario, on ne pourrait pas monter une production, préparer l’œuvre future, établir un plan de travail, ni filmer. Le scénario est primordial jusqu’à la phase finale, le montage. A cela il faut ajouter l’importance du scénario en tant que structure de base et en tant que fondement de l’articulation du langage. Dans ces dernières décennies, l’autorité du scénariste a été remplacée par celle du réalisateur, si bien que cela en devient un peu exagéré. L’autorité du scénariste n’existe pas parce que son œuvre n’est pas valable en soi, c’est-à-dire pour elle-même, mais comme un moyen d’arriver à l’œuvre cinématographique finale qui est toujours audiovisuelle. Très souvent, le scénariste voit son film à travers son scénario et le réalisateur fait de même. Il est possible que les versions soient différentes : différents individus, différentes visions du monde et du sens de l’humour. Au final, c’est la vision du réalisateur qui a tous les droits, c’est son travail. Cependant, je pense en tant que scénariste et critique, qu’en raison de la critique formulée à l’égard de cette inversion de rôle, on a un peu exagéré. Cette exagération ne serait-elle pas responsable de la mauvaise structuration de beaucoup de films avec une mauvaise narration, de nombreuses lacunes et des faiblesses dramatiques ? Il faut récupérer l’importance du scénario qu’il ne fallait pas jeter aux oubliettes.
Lorsque Philippe Jalladeau proposa un petit hommage aux scénarii et aux scénaristes mexicains, il parlait de l’importance qu’ils ont eue dans le développement du cinéma national. C’est la même chose en Argentine où il existe une autre industrie traditionnellement forte dans le continent latino-américain, depuis le début du cinéma sonore et où l’importance des scénaristes a été plus qu’évidente. Au Mexique, la situation est semblable, surtout après l’apparition du cinéma parlant dans les années trente. Ce n’est pas le cas au Brésil où depuis le début, l’élément majeur demeure le fait que ce soient les réalisateurs qui comptent. De manière générale, ils sont chargés d’écrire les scénarii de leurs propres films. On pourrait dire de façon générale que depuis le «Cinéma Novo» jusqu’au cinéma actuel, les scénaristes n’ont pas existé.
L’histoire considère Santa (1931) comme étant le premier film sonore qui est en réalité le premier film ayant un son optique (il en existait deux en 1938 élaborés à l’aide de systèmes sonores défectueux qui ont disparu de nos jours) : il s’agit de l’adaptation du roman populaire de l’écrivain naturaliste mexicain Federico Gamboa avec comme scénariste Carlos Noriega Hope et comme réalisateur Antonio Moreno. Ce roman a été adapté au cinéma trois fois avant 1918, dont une version muette très intéressante réalisée par Luis G. Peredo. La troisième, et la meilleure de toutes, a été réalisée en 1943 par Norman Foster d’après une adaptation de Alfredo B. Crevenna et Francisco de P. Cabrera. Il y a eu une autre version en 1968, écrite par Julio Alejandro et Emilio Gômez Muriel, le second étant le réalisateur. Santa est une sorte de personnage tutélaire du cinéma mexicain qui incarne parfaitement la prostituée malgré elle et maintient la dualité péché-rédemption.
Depuis les années de l’époque pré-industrielle, apparaissent deux types d’écrivains cinématographiques, les scénaristes-scénaristes et ceux qui écrivent mais seulement afin de réaliser leurs propres scénarii, parfois pour des tierces personnes. Le plus connu du premier groupe
est Mauricio Magdaleno (1906-1986). Figure importante du théâtre d’avant-garde, fondateur du théâtre de l’Ahora, écrivain et auteur de plusieurs romans et récits, ses débuts au cinéma furent brillants mais étaient plus le fait de son ami Juan Bustillo Oro, qui souhaitait débuter dans le cinéma sonore et choisit un récit que Magdaleno avait publié dans le journal espagnol, El Sol, en 1927. L’adaptation a été réalisée par Magdaleno lui-même et son ami Bustillo Oro, mais le producteur a préféré un autre cinéaste plus expérimenté, Fernando de Fuentes. Le film est El compadre Mendoza (1933) et constitue le premier classique du cinéma mexicain. Après avoir connu un grand succès, il tomba en désuétude jusque dans les années soixante, jusqu’à ce que l’historien français Georges Sadoul, lors d’un voyage au Mexique, le considère comme étant une des grandes réussites du cinéma mexicain de la période faste 1932-1952. Depuis lors, on n’a pas cessé de l’exhiber et de l’étudier. Il s’agit d’une œuvre fondamentale aussi bien par son authenticité que par la richesse des visions proposées par le scénario et la précision dans sa réalisation.
Après dix ans consacrés au théâtre et à la littérature, Magdaleno récidiva au cinéma avec Emilio «Indio» Fernandez avec qui il allait travailler pendant des années, ce dernier étant sa source d’inspiration et en même temps le principal responsable de ses meilleurs films : dans les années quarante, on parlait de l’équipe Fernandez-Figueroa-Magdaleno. Tout au long de ces dix huit ans, il écrivit pour l’«Indio» vingt et un films parmi lesquels on trouve le meilleur de son cinéma : Flor Silvestre, Maria Candelaria (1943), Las abandonadas (1944), Bugambilia (1945), Salon México (1948), Vistimas del pecado (1950) et naturellement son chef d’œuvre : Pueblerina (1949). La sincérité de Fernandez se mariait avec la solidité de Magdaleno et la précision de sa narration et de son dramatisme, son sens cinématographique, même dans des œuvres pas très réussies et souvent répétitives.
Mauricio Magdaleno a aussi travaillé pour des cinéastes très connus ainsi que pour des cinéastes de moindre renommée de deux décennies, Bracho, Gavaldón, Martinez Solares, Monplet etc.. Il a aussi travaillé dans le premier film que Luis Buñel réalisa au Mexique, Gran Casino (1946) (et qui n’a pas eu de succès en raison d’un scénario raté). Il a également participé à la réalisation de quatre films en même temps dont il en écrivait les scénarii (El Intruso (1944), Su gran ilusión (1945), La fuerza de la sangre (1946), La herencia de la Horona. Mais ce n’était pas sa vocation car Magdaleno a toujours produit un cinéma d’auteur. Il est l’archétype du scénariste-scénariste.
Un autre scénariste qui approcha le cinéma seulement par l’écriture fut Julio Alejandro, ancien officier de marine, fidèle à la République espagnole, il arriva au Mexique en 1948 après un parcours à travers le monde et fit ses débuts au cinéma en écrivant les dialogues de Negro es mi color (1950) de Tito Davison. Destiné au théâtre comme l’était Magdaleno, antiquaire et grand connaisseur des techniques de bruitages au cinéma, il écrivit une série de mélodrames et de comédies avec une élégance et une connaissance de toutes les ficelles des genres théâtraux. Julio a finalement rencontré Luis Bunuel avec qui il a participé à l’élaboration du scénario de Abismos de Pasión (1953). Il comprit parfaitement l’univers de Buñuel dans le magnifique Nazarin (1958), Viridiana (1961), Simon del desierto (1964) et dans la dernière étape européenne de Buñuel avec Tristana (1969) qui a sans aucun doute été la réalisation la plus caractéristique du style de Bunuel de cette période.
Le nom de Luis Alcoriza (1918-1992) est aussi associé à celui de Buñuel. Ancien acteur, membre d’une famille de comédiens qui pendant une des ses tournées en Amérique latine, fut surprise par la prise du pouvoir par Franco et qui de ce fait décida de rester au Mexique où Alcoriza demanda sa naturalisation en 1939. Auteur de cinéma depuis 1940 (il interpréta très souvent le rôle du Christ et ceux de nombreux saints, déjà joués au théâtre), il finit par écrire des scénarii, le plus souvent avec son épouse Janet, sans pour autant abandonner son métier d’acteur. Avec El ahijado de la muerte (1946) (de Norman Foster, de qui il se considérait le disciple),il débuta comme scénariste au côté de Foster lui-même et de Janet Riesenfeld-Alcoriza). Sa carrière dans ce domaine comprend soixante-six films dont dix réalisés par Buñuel (parmi lesquels des œuvres aussi connues que Los olvidados, El bruto, El, El angel exterminador). Pendant la période mexicaine de Buñuel, Alcoriza fut son écrivain le plus important. Pour le reste, il fut toujours un écrivain professionnel et très solide, fonctionnel (Norman Foster venait d’Hollywood), discipliné et capable de toucher à tous les styles, avec une préférence pour le concret plutôt pour la théorie ou le concept, il avait un goût particulier pour les dialogues précis. Cela explique les bons rapports qu’il a entretenus avec Buñuel. Parmi les films, on peut mettre en évidence, en plus de ceux de Buñuel, la comédie El Inocente (1955) écrite avec Janet, El toro negro (1959) qui fut le meilleur film jamais réalisé au Mexique sur la tauromachie, grâce à un scénario d’une grande maturité et portant un regard critique sur le mythe du succès, El esqueleto de la señora Morales (1959) de Rogelio Gonzalez, satire sociale, où on retrouvait l’humour noir anglo-saxon, espagnol et mexicain.
Une destruction partielle au moment de la mise en image a poussé Alcoriza à se lancer dans la réalisation, appuyé par celui qui avait été le réalisateur de ces deux derniers films. En 1960, Alcoriza débuta comme réalisateur avec Los jovenes et sa filmographie comprend vingt-trois films (dont deux réalisés en Espagne). Tous sauf Amor y sexo (1963) et le dernier La sombra del ciprès es alargada (1989) portent tous la trace de sa participation au scénario. De ses films se détachent Tlayucan (1961), Tiburoneros (1962), Tarahumara (64), Mécanica nacional (1971), Lo que importa es vivir (1985). Mais avant tout, comme ce fut le cas pour Mauricio Magdaleno, il fut scénariste.
Un autre scénariste-scénariste, en plus d’être romancier, dramaturge et journaliste, se trouve être Vicente Lenero (1933) qui arriva à l’écriture de films après avoir publié plusieurs romans, livres de contes, plusieurs pièces de théâtre et des essais. Ecrivain à plusieurs facettes, il arriva au cinéma tout à fait par hasard après avoir été critique dans un journal. Le cinéaste Jorge Fons insista pour qu’il adapte son propre roman et pièce de théâtre Los albaniles (1976) car sa vision du cinéma populaire convenait très bien au cinéma. Ensuite vinrent Cadena perpetua (1978) et La Tia Alejandra (1979) de Arturo Ripstein, Estudio Q (1981) de Marcela Fernandez Violante, Mariana, Mariana (1987) de José Estrada, Miroslava (1992) de Alejandro Pelayo, El callejón de los milagros (1994) de Jorge Fons. Bien que ce dernier eut plus de succès, le meilleur reste Cadena perpétua en raison de sa compréhension précise du thriller et du monde fermé et obsessionnel de Arturo Ripstein : c’est un récit qui se passe dans la ville de Mexico (avec une partie du récit dans une île prison) et cependant l’ambiance y est aussi suffocante que si tout se passait entre quatre murs. Du point de vue de la structure et de la narration, il s’agit d’une œuvre riche, complexe et dense.
Alejandro Galindo (1906-1999) fut aussi un scénariste-réalisateur. Il a débuté sa carrière en tant que scénariste de La isla maldita (1936), puis de El baùl macabro (1936) et de Ave sin rumbo (1937). Il débuta en tant que scénariste et réalisateur du court métrage Tierra de emperadores (1937) et immédiatement après ses débuts en tant que réalisateur et co-scénariste du long métrage Almas rebeldes (1937). Sa carrière fut prolifique avec une filmographie qui compte soixante-douze films en presque cinquante ans. Il fut aussi l’unique scénariste des meilleurs d’entre-eux dont Campeón sin corona (1945), Esquina bajan (1948), Confidencias de un ruletero (1949), Espaldas mojadas (1953), ainsi que deux de ses oeuvres maîtresses Una familia de tantas (1948) et «Hay lugar para dos (1949). Le fait de devoir réaliser deux à trois films par an ne lui constituait en rien un obstacle. Dans ses meilleures périodes, il fut celui qui comprit le mieux les changements de la classe moyenne urbaine (Una familia de tantas) et celui qui a le mieux dépeint les personnages populaires tels que les chauffeurs de bus urbains, les boxeurs (et leurs complexes), les chauffeurs de taxi ainsi que les travailleurs immigrés. L’ensemble de son œuvre brille par la perception du langage populaire et la manière de dépeindre la réalité, en particulier, la réalité urbaine (on dit qu’ilse représentait la ville de Mexico comme un monument au sein duquel le cinéma ployait sous le poids de l’histoire et du paradis provincial). Sa longue carrière (1934-1985) fut naturellement inégale (dans les années soixante, on le disait boudeur et tenant des discours moralisateurs) mais on se doit de la considérer comme des plus intéressantes.
On peut dire que la carrière de Juan Bustillo Oro (1904-1989), qui en près de quarante années de travail (1927-1965) et une filmographie de soixante-deux réalisations, est très semblable à celle de Galindo, en ce sens que Juan Bustillo fut aussi scénariste : il était destiné à la comédie nostalgique (réactionnaire) qui reflétait la crainte que nourrissait la classe moyenne à l’égard de la révolution (1910-1917) plus que probable ainsi que des délices de la paix et de la dictature de Diaz. Il a touché à tous les genres, avec principalement des comédies, faisant toujours preuve d’un entrain indubitable et à la fin de sa longue carrière, il s’est contenté de refaire ses succès des années trente et quarante.
Julio Bracho fut moins prolifique : en effet, en trente-six années de carrière professionnelle (1941-1977), il réalisa quarante-cinq films, la plupart d’entre eux en qualité de scénariste. Qui plus est, il a débuté dans le monde du cinéma en 1938 et dans ces années-là il a fait preuve d’un travail constant au sein du théâtre d’avant-garde, fondateur de troupes de théâtre scolaire, du théâtre d’orientation des beaux arts, du théâtre des travailleurs et du premier théâtre universitaire. Deux de ses films se distinguent de l’ensemble de ses œuvres : Rosenda (1948), pour lequel Bracho adapta à l’écran un roman sur la province sans folklore et y a dépeint un sentiment tragique. La seconde de ses adaptations La sombra del caudillo (1960), fur interdite par le pouvoir, qui en acheta l’ensemble des copies et détruit les négatifs.
Le film a survécu grâce à la cinémathèque de l’UNAM qui a sauvé une copie en 16mm. Elle a été rendue publique pour la première fois en 1990 : une adaptation modèle, une œuvre très importante constituant une réflexion sur le militarisme autoritaire, la corruption et tous les vices hérités de la révolution de 1910, d’un point de vue historique et d’un point de vue cinématographique.
Deux mots aussi au sujet de Ismael Rodriguez et de sa trilogie délirante sur les pauvres, sommet du mélodrame mexicain habillé de néoréalisme : Nosotros los pobres (1947), Ustedes los ricos (1948) et Pepe el toro (1952). Elle constitue encore aujourd’hui une référence obligée.
Quant à la nouvelle génération, un nombre important de scénaristes fait son apparition même s’ils ne pourront jamais rivaliser avec les chiffres des générations passées. Dans les années cinquante, la moyenne annuelle était de cent films, ces quinze dernières années, huit à dix films ont été réalisés par an. De manière générale, un scénariste peut voir de nombreuses années s’écouler sans que son travail ne soit monté. Cela n’a pas empêché des travaux de très bonne qualité, comme ceux de Ignacio Ortiz (1960), diplômé du C.C.C (Centre de Capacité Cinématographique), qui à l’issue de sa formation scolaire, a débuté avec La mujer de Benjamin (1991), remarquable opéra de Carlos Carrera, puis a poursuivi sa carrière avec La vida conyugal (1992), Desiertos mares (1994) de José Luis Garcia-Agraz, a écrit et réalisé ensuite le court métrage Hombre que no escuchaba boléros (1994), et fut l’auteur et le réalisateur de La orilla de la tierra (1995), une œuvre insolite sur Oaxaca et le laisser-aller des habitants mâles, qui donne une vision de la fin du monde. Ortiz possède un don inné du récit cinématographique et de son langage elliptique.
Le cinéma a traditionnellement été un domaine fermé aux femmes (sauf en ce qui concerne les actrices, maquilleuses, costumières et autres fonctions) ; c’est un monde machiste et misogyne. C’est la raison pour laquelle on peut remarquer l’émergence d’un groupe de scénaristes douées, qui ont débuté avec Paz Alicia Garciadiego, écrivain, inspiratrice pour ses six derniers films d’Arturo Ripstein de qui elle devint l’épouse (en plus d’un épisode de Ciudad de ciegos (1990) de Alberto Cortès). Elle comprenait si bien Ripstein, son univers et ses obsessions.
Sabina Bergman est à l’origine dramaturge, romancière, conteuse et poète. Elle débuta au cinéma comme co-scénariste avec Vincente Lenero dans Latia Alejandra (Ripstein,1979), comme scénariste et co-réalisatrice du court métrage El arbol de la mùsica (1994) et comme adaptatrice de sa propre pièce Entre Pancho Villa y una mujer desnuda (Isabel Tardàn, 1995).
Beatriz Novaro, romancière et auteur de nombreux récits, débuta dans le monde du scénario avec Azul (1988), court métrage de Maria Novaro, Lola (1989), le remarquable Danzon (1990) et El jardin del Edèn (1995), tous de Maria Novaro.
Marcela Fuentes Berain est l’auteur de l’étonnant scénario de Hasta morir (Fernando Sarinana, 1993) et a à son actif deux scénarii intelligents ayant déjà un metteur en scène mais aucun producteur. Le dernière venue est Maria Amparo Escandón, d’origine mexicaine mais vivant à Los Angeles depuis de nombreuses années. Ses débuts dans Santitos (Alejandro Springall, 1999) ont été présentés comme étant l’événement majeur du cinéma mexicain contemporain ; elle base son histoire sur les croyances et la religiosité des mexicains avec beaucoup de force et de simplicité. Le domaine est riche.
Tomas PÉREZ TURRENT
Traduit de l’espagnol par Loïk Allain