Le cinématographe arrive en Amérique centrale autour de 1910. Les projectionnistes ambulants sillonnent alors cette vaste mosaïque culturelle, 533.000 km2 qui s’étire depuis la Selva de Petén au nord du Guatemala jusqu’aux forêts de Darién au sud du Panama. Jusqu’aux années 70, les quelques productions sont les fruits d’initiatives d’individus isolés amoureux du cinéma. Ils reçoivent peu de soutien des institutions officielles et du public. Au Guatemala et au Costa Rica, les longs métrages de fiction, El Sombrerón et El Retorno témoignent de cette époque de pionniers. Le premier long métrage panaméen est réalisé en 1950. Il faut attendre 1970 pour que le Honduras, le Nicaragua et El Salvador réalisent leurs propres productions. Depuis les années 70, l’instabilité politique de l’isthme a contribué à accroître la vulnérabilité et la dépendance extérieure caractéristique de l’économie de ces petits pays. La production et la diffusion audiovisuelles n’échappent pas à cette réalité. « Si nous voulons définir l’audiovisuel centre-américain, la première chose à souligner est qu’il n’existe pas d’industrie cinématographique dans la région, bien que chaque pays possède une modeste cinématographie nationale (…). Pas de production systématique, aucune base stable pour une possible industrie. Rien. », explique Maria Lourdes Cortes directrice du Centre cinématographique costaricien et spécialiste du cinéma méso-américain. Pourtant, dans ce contexte, des cinéastes indépendants se battent toujours pour écrire, filmer, monter des images.
Créer malgré tout
Faire un film est toujours une aventure incertaine, mais, en Amérique centrale, théâtre d’une histoire de fragmentations politiques et de marginalisations sociales importantes, l’aventure en question relève du véritable défi. « Dans les périodes de crise, seule l’imagination importe plus que la connaissance », déclarait Albert Einstein. Les cinéastes d’Amérique centrale le vérifient perpétuellement. La notion de « bricolage » avec ce qu’elle sous- entend de capacité d’adaptation, d’imagination, et de débrouillardise définit parfaitement ce « cinéma ». Il faut parfois des années avant qu’un film trouve les financements pour être tourné et monté. C’est le cas de No hay tierra sin dueno du réalisateur hondurien Sami Kafati. Raconter des histoires en images, témoigner de la réalité des situations au travers de métaphores cinématographiques semble relever, pour certains, d’une incroyable nécessité, d’un pur désir, de la folie même. « Je dis toujours que faire des films, créer, c’est comme voler. L’oiseau vole parce que c’est sa nature. On ne lui demande pas pourquoi » déclare la réalisatrice costaricienne Ishtar Yasin qui de son coté poursuit, contre vents et marées, le projet de son premier long métrage de fiction, El Camino, dont le tournage, repoussé plusieurs fois pour manque de financements, débutera en janvier 2004 au Nicaragua.
L’enfance de l’art – Franchir les étapes
Les cinémathèques centre-américaines sont surtout constituées de petits formats réalisés pour la plupart en vidéo. La vidéo a permis à des pays économiquement faibles et non dotés de lois fiscales de produire des œuvres remarquables comme celles de Sergio Valdes Pedroni au Guatemala, de Maria José Alvarez au Nicaragua, ou d’Hilda Hidalgo et Ishtar Yasin au Costa Rica. Les longs métrages en pellicule sont rares. Les longs métrages de fiction exceptionnels…
Le domaine de l’image en mouvement est un secteur émergent et donc encore en phase de recherche et de construction. Il n’existe pas d’industrie cinématographique dans ces pays ce qui explique l’absence de l’Amérique centrale sur le marché international du film. De nombreuses étapes restent à franchir. Le désintérêt des instances publiques pour ce secteur et l’échelle des priorités en période de « reconstruction », fait qu’il est demeuré souvent dépendant des aides des organismes de coopération internationaux, premiers co-producteurs de réalisations audiovisuelles. « Sans l’appui économique qu’ont offert plusieurs organismes de coopération ces dix dernières années, certains cinéastes auraient disparus et avec eux aurait disparu un certain regard porté sur la réalité de cet espace » analyse Florence Jaugey. Pourtant, dépendre des ONG signifie se maintenir dans un certain type de sujet et produire essentiellement des films à caractère social, en respectant plusieurs normes correspondant aux politiques de développement en vigueur, ce qui souvent n’aide pas à répondre aux demandes du marché international : durée, point de vue, style argumentaire. Si certains cinéastes souffrent de cette dépendance qui leur donne parfois le sentiment d’être enfermés dans des contraintes de création, d’autres ont, au contraire, transformé la contrainte en fabuleux moteur pour l’imagination. Ceci explique que le genre de productions le plus répandu dans la zone demeure le documentaire. Pour évoluer la production devra se diversifier.
Retrouver son image – Exister
Il n’existe pas, à l’heure actuelle, d’espace audiovisuel centre- américain parce qu’il n’existe pas d’espace économique centre-américain. Pendant les périodes de guerre civile la création d’image était paralysée. Depuis la signature des accords de paix des années 90, faire un film est à nouveau envisageable. Les créations commencent à émerger et à traduire une nécessité pour chaque pays, de reprendre la parole, de retrouver son « image » propre face au modèle nord- américain prédominant. « Ce territoire est un territoire qui se meurt de malnutrition d’image » affirme Sergipe Alexandrov Valdes réalisateur et critique guatémaltèque. « On ne peut pas construire d’avenir si on n’a pas un miroir comme mémoire dans lequel se voir et se reconnaître. Et c’est à cela que sert le cinéma. Donc, il est très important que nous nous regardions avec respect. »
Le cinéma en Amérique centrale n’en est qu’au début de son histoire. Et, c’est conscient de cette donnée qu’il faut aussi découvrir ces cinématographies. Des débuts prometteurs à en juger par les œuvres proposées dans cette rétrospective. Le futur dépendra de la capacité de chaque pays à s’affirmer, à s’organiser, à soutenir la formation de ses cinéastes, à conserver intacte cette nécessité créatrice et à affirmer sa riche diversité culturelle.
Emmanuelle Hascoët
Coordinatrice du programme Amérique Centrale