Festival 3 Continents
Compétition internationale
46e édition
15>23 NOV. 2024, Nantes

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Une histoire du documentaire brésilien

BRÉSIL, BRÉSILS : DOCUMENTAIRES

Brésil, Brésils — la sans doute heureuse appellation attribuée à l’Année du Brésil en France constitue un cadre on ne peut plus approprié pour un texte qui a pour objectif de parler du documentaire brésilien, lequel, dans le présent festival de Nantes, occupera une place privilégiée dans une programmation tournée vers la discussion de l’esthétique réaliste au sein du cinéma brésilien, Cependant, aujourd’hui il est plus juste de parler de cinémas brésiliens (au pluriel), que de cinéma brésilien (au singulier), terme qui renvoie à la production majoritairement originaire des grands centres urbains — Rio de Janeiro et São Paulo. C’est ainsi que, à côté des cinématographies pauliste et carioca, d’ailleurs assez distinctes, ont lieu actuellement d’importantes manifestations esthétiques, thématiques et de modèles de production, dans les États du sud, du nord-est, du centre-ouest et du nord du pays, qui tendent à la consolidation de pôles régionaux de cinéma. En outre, à en juger par la production de la dernière décennie et demie, le cinéma brésilien présente une production consistante de documentaires, remarquable par le fait qu’il s’agit d’oeuvres destinées prioritairement au circuit des salles de cinéma. Ce phénomène, qui surprend les analystes, est dû en premier lieu au changement des conditions de financement public du cinéma au Brésil qui, auparavant, se faisait au moyen de financements directs par l’organisme public chargé du cinéma. Actuellement, une législation favorisant le mécénat, à travers des abattements fiscaux, a transféré vers les entreprises le rôle décisionnel dans le choix des œuvres qui doivent être produites. Produire des films de fiction aujourd’hui, au Brésil, est une opération de caractère plutôt entrepreneurial qu’artistique, qui tend involontairement ou non à répéter des modèles esthético-narratifs établis. Sans entrer dans le débat sur cette question complexe, qui rejette d’ailleurs des solutions simplistes, il semblerait que les films à petit budget qui recherchent une plus grande liberté de création ou de traitement thématique s’orientent vers le genre documentaire, donnant ainsi spontanément naissance à une multiplicité d’œuvres d’une valeur artistique reconnue. Il est à parier qu’à l’avenir, ce fonds de films documentaires, qui représentent de manière créative la vie brésilienne contemporaine, ne devienne la principale source de connaissance de la présente réalité historique…

Historiquement parlant, cette moisson exceptionnelle de films documentaires, dont Autobus 174 (Ônibus 174, 2002) est l’exemple emblématique, reflète tant esthétiquement que thématiquement les différentes étapes d’un processus de maturation et de diversification du documentaire brésilien à partir des années 30, lorsque fut créé le premier organisme public de soutien au cinéma au Brésil, l’Instituto Nacional de Cinéma Educativo (Institut National de Cinéma Éducatif). Humberto Mauro en fut le premier directeur et y réalisa des dizaines de documentaires éducatifs sur les thèmes les plus diversifiés. Bien qu’il ne fût sensible qu’à l’aspect simplement éducatif et/ou instructif du documentaire, Mauro développa intuitivement une esthétique fondée sur des « tableaux » de la société brésilienne et marquée par un lyrisme romantique et authentique, également présente dans ses œuvres fictionnelles. Les jeunes du Cinéma Novo, dans les années 60, l’ont idolâtré, voyant en lui le plus avancé de nos cinéastes de la « phase héroïque » du début. Le Char à Bœufs (Carro de Bois, 1945), présenté également à Nantes, est un des meilleurs exemples de sa production de documentaires éducatifs.

Un autre moment incontournable des premières interprétations cinématographiques de la réalité brésilienne, en contraste avec une production fictionnelle purement commerciale, est le passage d’Orson Welles au Brésil, en 1942, lorsque le génial réalisateur de Citzen Kane entreprit, avec ses propres moyens, la reconstitution d’une saga de jangadeiros du Nordeste, intitulée It’s All True et jouée par des acteurs amateurs, malheureusement vite interrompue dans des conditions dramatiques et restée en l’état jusqu’à la mort de Welles. Les négatifs en ont été retrouvés au début des années 90 et le film a été achevé grâce à d’anciens assistants du réalisateur. À y regarder de plus près aujourd’hui, ce film de 1942 s’avère être une impressionnante anticipation du courant réaliste du cinéma mondial, Avec It’s All True, Welles est pour le Brésil ce qu’Eisenstein est pour le Mexique avec Que Viva México.

Les années 50 n’ont pas été particulièrement prodigues dans la production de documentaires. Mais un film de fiction, l’épisode Ana, qui faisait partie du projet Rosados Ventos (La Rose des Vents, 1957), réalisé par Alex Vianny et dont le scénario a été écrit par Jorge Amado, Alberto Cavaicanti et Trigueirinho Neto, est tellement marqué par une esthétique réaliste qu’on peut le considérer comme un des premiers et meilleurs documentaires sur les retirantes nordestins qui migrent vers le sud du pays pour fuire la sécheresse. Rosa dos Ventos constitue une curieuse production internationale, sous la supervision d’Alberto Cavalcanti et de Joris Ivens, financée par le Parti communiste d’Allemagne de l’Est !

C’est dans les années 60, avec l’avènement du Cinema Novo, que le documentaire entame une trajectoire continue de propositions esthétiques et de productions propres, Cinco vezes favela (1962), documentaire à épisodes dirigés par Marcos Farias, Miguel Borges, Carlos Diegues, Joaquim Pedro de Andrade et Léon Hirzman, est une des œuvres fondamentales de ce mouvement qui allait marquer tout le développement ultérieur du cinéma brésilien, Directement influencé par le néoréalisme italien, le Cinema Novo a laissé une empreinte indélébile dans l’esthétique du documentaire brésilien. Eduardo Coutinho, directeur de production de Cinco vezes favela, qui allait devenir l’un des plus influents documentaristes contemporains, définissait les paramètres esthétiques de ce que deviendrait plus tard le documentaire brésilien contemporain : « …style libre et traitement critique d’un thème lié à la réalité brésilienne. Il est important de suggérer des solutions pour nos drames, montrer du doigt les coupables, politiser le public. »

Toutefois, c’est avec l’apparition du Cinema Direto (cinéma direct) à la même période — résultat de l’enregistrement synchrone du son et de l’image sur la pellicule 16 mm — que le documentaire, tant au Brésil que dans le reste du monde, allait gagner définitivement l’efficacité de langage et de production dont il jouit aujourd’hui, au point de continuer à influencer le cinéma de fiction dans sa quête de l’interprétation créative de la réalité. Le Cinema Direto rompt radicale- ment avec les habitudes établies, modifiant jusqu’à la narration traditionnelle. Le 16mm a été plus qu’une technique, il a représenté la respiration naturelle d’un art revivifié par le contact avec le monde réel. Avec ce format, le cinéma et son histoire pouvaient réellement commencer.

Se disséminant durant les décennies 60 et 70, étant même à l’origine du documentaire télévisuel, le Cinema Direto n’a cessé d’évoluer, Le remplacement du 16 mm par le support numérique n’a fait qu’amplifier son universalisation, tout en gardant son présupposé esthétique de base, enracinée dans la captation synchrone du son et de l’image. Les principes esthétiques prônés par Leacock, Pennebaker, Rouch, pionniers du cinéma direct aux États-Unis et en Europe, demeurent aussi actuels qu’à l’époque. De temps en temps, comme c’est le cas des films de Michael Moore, l’impact d’un documentaire direct est tel qu’il dépasse la frontière des genres — frontière fictive et esthétiquement indéfendable comme Alberto Cavalcanti et d’autres fondateurs du documentaire l’ont tou- jours cru — et que, sans crier gare, il prend une place entre les films dits de fiction.

Brasil Verdade, Iracema, uma Tranza Amazônica, Os Doces Bárbaros, Terra dos índios, Egungun, Bahia de Todos os Sambas, Cabra Marcado para Morrer, Terra para Rose sont tous porteurs de l’esthétique du cinéma direct, caractérisée par la parole authentique qui se déplace, respire et occupe le cadre, car elle montre comment les êtres humains communiquent, c’est-à-dire comment ils parlent. C’est par ce moyen révolutionnaire que s’exerce la médiation créative des auteurs.

Jom Tob Azulay, cinéaste

Traduit du portugais par Ciro de Morais Rego

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