Pour le moins qu’on puisse dire, et à l’exception de la Grande-Bretagne pour
des raisons d’immigration, le Pakistan est en Europe un pays mal connu et je
dirais même très mal perçu. Une minorité agissante dont les actes sont relayés par les médias, masque la réalité d’une grande majorité qui heureusement vit normalement, ne se voile pas, sort, que ce soit au cinéma ou dans les restaurants, les femmes côtoyant les hommes. Il en va de même pour le cinéma pakistanais qui demeure quasiment inconnu des cinéphiles européens.
A ma connaissance, alors que le cinéma pakistanais existe depuis 60 ans, 2 ou 3 films seulement ont été présentés en Europe Continentale, et pourtant, plusieurs centaines de films ont été réalisés au Pakistan. Pour en savoir plus, j’ai donc, selon ma pratique habituelle, été sur le terrain, voir ce qu’il en était.
Une mission particulièrement difficile puisqu’il n’y a pas de cinémathèque, ni d’archives au Pakistan et que l’activité cinématographique se répartit en deux pôles : Karachi, capitale économique, Lahore, capitale culturelle, un peu à la manière de Milan et Rome pour l’Italie.
Pour schématiser ce qui sera illustré par la sélection proposée, disons que le cinéma du Pakistan a connu sa période d’Or après la création de l’Etat du Pakistan, celle du cinéma des studios, celle des années 50-60, comme on en trouve alors dans les 3 continents, Egypte, Mexique, Philippines, celle d’un cinéma populaire de qualité. Il s’épuise lorsque les grands techniciens et les grands réalisateurs disparaissent, que la routine et la facilité prennent le pas sur la création artistique, surtout lorsque le pouvoir politique lui donne un coup de grâce comme en 1979 après le coup d’état conservateur de 1977, en instaurant une censure redoutable.
Il est toutefois intéressant de noter que les années 70 ont vu émerger de jeunes cinéastes indépendants des studios, qui voulaient alors donner l’image d’une réalité plus juste de leur pays : Mushtaq Gazdar, Djamil Delhavi, Jawed Jabbar (ils avaient été précédés par le premier cinéaste auteur, ayant réalisé une œuvre unique en 1959, A.J. Kardar). Ce ne fut qu’un feu de paille, censure oblige. Leur travail s’arrêta net ou se poursuivi depuis l’étranger (Djamil Delhavi).
Dans les années 80-90, la décadence du cinéma commercial est totale. Malgré le Star System et le Box Office, la décrépitude atteint les salles de cinéma et même les multiples maisons de production qui existaient jusqu’alors. Il faut voir à Lahore, le quartier des producteurs, les bureaux abandonnés, les bobines de films qui traînent dans les cages d’escalier.
Pourtant, tel le phoenix qui renaît de ses cendres, le cinéma pakistanais relève la tête depuis le début des années 2000 et entre dans la modernité : un festival de cinéma à Karachi, une première co-production Franco-Pakistanaise pour la naissance d’un cinéma d’auteur (Kamosh Pani), le soutien de la télévision pour un cinéma « Mainstream » de bonne facture (In the Name of God, le plus grand succès au Pakistan depuis des lustres) et surtout l’éclosion de jeunes réalisateurs dans les écoles de cinéma en plein développement, deux à Lahore, une à Karachi. Ce pourrait préfigurer des lendemains qui chantent, mais le Pakistan demeure imprévisible.
Philippe Jalladeau