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Équateur, une nouvelle vague

Le matin du cinéma équatorien

Il est difficile d’embrasser d’un seul mouvement l’histoire du cinéma d’Amérique du Sud et ses temporalités divergentes, entre le roulis permanent qui, depuis le début du 20e siècle, en a fait un continent cinématographiquement vivant, et les vagues nouvelles qui, en tel pays, à telle période, ont vu surfer sur elles de nouvelles propositions, parfois des écoles, des effervescences qui tiennent ici à une génération, là à des circonstances particulières. Ces dernières années, on a beaucoup célébré la vitalité du cinéma sud-américain, la fiction argentine, le documentaire brésilien. Ce pourrait être le tour, bientôt, du Chili ou du Paraguay. Et de l’Equateur. Ce pays partagé entre ses identités géographiques (la côte tropicale, la Cordillère des Andes, la forêt amazonienne) ne s’appuie pas sur un héritage cinématographique solide, tant lui fait défaut un auteur de référence, un maître, un grand cinéaste national. Il y a bien ce film, Ils se connurent à Guayaquil, le premier film parlant du cinéma équatorien qui en 1950, remporta un grand succès. Mais il n’enclencha nul mouvement. C’est que, en Equateur, on produisait jusqu’à présent très peu de films, et le pays n’avait qu’un ambassadeur, Camilo Luzuriaga, dont le travail a pu circuler à l’étranger, modérément, dans les années 90. Jusqu’à présent, parce qu’ici comme ailleurs les nouvelles technologies (le numérique), ont rendu bien plus accessible la fabrication d’un film. Alors la production s’est accélérée, mais de manière un peu sauvage, sans réelles structures.

La donne change en ce moment-même. Les pouvoirs publics ont décidé d’accompagner et d’encourager cet éveil, en créant un indispensable Centre National du Cinéma pour stimuler et structurer la production locale. Une école de cinéma à Quito, puis une autre fraîchement inaugurée à Guayaquil, forment des techniciens, des producteurs, des acteurs, des réalisateurs. Une structure indépendante, Ocho y Medio, tente de contrecarrer l’omniprésence des multiplexes et de la production commerciale hollywoodienne en diffusant à travers son réseau de salles des programmes audacieux. Les fruits de ces mutations seront à cueillir bientôt. Mais déjà, le cinéma équatorien se manifeste à l’étranger : Crónicas, de Sebastián Cordero, qui a su attirer dans cette co-production avec le Mexique des acteurs de l’envergure de John Leguizamo et Leonor Watling, a représenté l’Equateur au Festival de Cannes, dans la section Un Certain regard ; Que tan lejos de Tania Hermida, a connu une distribution française ; d’autres cinéastes, tels Juan Martin Cueva, Daniel Andrade ou Victor Arregui, ont vu leur travail montré à l’étranger, mais restent à découvrir.

Proposer un programme autour du cinéma équatorien, aujourd’hui, c’est une manière de promesse, davantage qu’une rétrospective. La structuration du paysage cinématographique équatorien laisse supposer que le nombre de films produits chaque année va augmenter de façon exponentielle durant la prochaine décennie. La formation d’une identité forte est à ce prix : il faut en considérer, dès maintenant, les prémisses et prendre date pour l’avenir.

Jean-Philippe Tessé
Programmateur

Equateur : la réalité et le futur

Jusqu’à dix ans en arrière, le cinéma en Equateur était inconnu au monde. Comme pour beaucoup de pays d’Amérique Latine, l’histoire du cinéma équatorien est une histoire poignante de sa naissance à sa mort, de sa résurrection et de sa renaissance. Des périodes prolongées d’absence totale de production sont alternées avec de rares moments où apparaissent quelques films qui annoncent faussement l’essor définitif du cinéma national. C’est seulement depuis ces dix dernières années que l’on peut parler d’une croissance constante et soutenue. Malgré cela, l’activité cinématographique se débat entre des limitations ancrées dans le réel et un véritable potentiel.

Effectivement, aujourd’hui le cinéma équatorien traverse sa meilleure phase. Il n’y a jamais eu auparavant autant de productions, de diffusion et d’aide institutionnelle. Lors des dix dernières années, plus de 20 long-métrages ont été produits, chiffre supérieur à la production de tout le XXe siècle. Pour la première fois, des films équatoriens sont montrés dans des festivals internationaux comme Sundance, Venise, Cannes, Rotterdam. Ratas, ratones y rateros (1999) de Sébastian Cordero a élevé l’Équateur au sommet de cette vague appelée cinéma latino-américain et a constitué un paradigme pour les cinéastes équatoriens en émergence. Que tan lejos (2006) de Tania Hermida a obtenu un succès inhabituel au box-office national en traçant un portrait aigre-doux sur l’imaginaire de l’Equateur. En 2006, la loi de promotion du cinéma national est votée et le «Conseil National du Cinéma» est créé. C’est avec ce dernier que, pour la première fois, l’État assigne des fonds publics pour développer l’activité cinématographique. D’après des estimations de cet organisme sur l’avenir, nous espérons voir aboutir trois projets de longs-métrages par an.

Dans ce panorama d’urgence, il semble y avoir deux forces en jeu. L’une innovatrice qui impose un changement esthétique et conceptuel face au éclectique et vieux cinéma des années quatre-vingt. L’autre plus conservatrice qui essaye de revivifier un réalisme préfabriqué de caractère social et filiation nationaliste. D’un côté, le cinéma paraît être coincé par un retour permanent aux esthétiques du passé qui côtoie la peinture des mœurs et l’anecdote. Des films comme Sueños en la mitad del mundo (1999), Un titán en el ring (2002) et 1809-1810. Mientras llega el día (2005), Que tan lejos (2006) sont proches de cette tendance.

En même temps, Ratas, ratones y rateros (1999) a ouvert une brèche générationnelle, thématique et esthétique dans le cinéma équatorien. Avec un réalisme qui fait monter l’adrénaline, ce film interroge les conventions du cinéma social dominant et produit un glissement de ces thématiques et focalisations établies sur la réalité locale. Depuis ce film, une nouvelle génération de cinéastes apparaît ainsi qu’un ensemble de films qui vont rivaliser avec la tradition cinématographique nationale. Ces films posent une diversification thématique dans le cinéma national et ont en commun le traitement de la crise d’identité individuelle et collective. Dans cette lignée, sont apparus des films comme : Alegría de una vez (2000), Maldita sea (2001), Fuera de juego (2003), Crónicas (2005), Esas no son penas (2007), Cuando me toque a mí (2007).

Tout en continuant à se débattre avec sa réalité – nationale, factuelle et limitée -, grâce à sa curiosité émergente le cinéma équatorien annonce un avenir prometteur. Une dernière génération de cinéastes qui ont fait du court-métrage leur cheval de bataille permettent de reconnaître l’ouverture du cinéma équatorien d’aujourd’hui. Pour ces jeunes débutants, le cinéma a cessé d’être le témoignage impossible d’une identité nationale, pour se transformer en un projet guidé par le désir. La réalité socialement conditionnée et le réalisme cinématographique se lézardent et laissent entrevoir un autre cinéma équatorien. L’Objetiv (2002) de Pancho Vinachi, Silencio nuclear (2002) de Ivan Mora, El Correo de las horas (2003) de Sandino Burbano, Bifurcando la mirada (2006) de Federico Koeller, A la caza del rey (2007) de Patricio Burbano, Invitación a Sepelio (2007) de Marco Rodríguez, Emilia (2007) de Caria Valencia, Despierta (2008) de Ana Cristina Barragán annoncent un renouveau du cinéma équatorien.

Christian León
Critique de cinéma équatorien

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