Les usages prévalent généralement sur la législation : la plupart des festivals, qui sont le cadre privilégié de sa diffusion, admettent le court-métrage comme inférieur à 30 minutes, alors qu’un décret du Centre National de la Cinématographie stipule qu’il ne doit pas excéder 59 minutes (1600 mètres en 35mm ou la longueur équivalente dans les autres formats). Pour la sélection Continent Courts, l’amplitude de durée des films est importante : nous avons évalué leurs qualités, leurs capacités à étonner, séduire, questionner, articuler une pensée à sa représentation, plutôt qu’à se loger dans une grille prédéterminée, ou selon une critériologie technique trop contraignante. Le court-métrage se voit de la sorte décloisonné, et ses possibilités expressives largement envisagées. Pour se réapproprier des mots déjà employés lors de la présentation de ce programme l’année passée, ce format nécessite de lier harmonieusement une narration succincte avec une intensité visuelle et dramatique. Ce qui sous-entend, aussi, l’écueil du calibrage ou de la conformation à des standards, que nous nous sommes attachés à écarter.
Rebaptisée Continent Courts pour sa deuxième année d’existence, la sélection de courts-métrages du Festival des 3 Continents réaffirme la proposition faite lors de l’édition 2008 : donner à voir un panorama subjectif de films courts et récents en provenance d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie. La grande quantité de productions reçues suggère qu’il existe déjà un véritable intérêt pour cette section, une attention particulière à la visibilité de films qui en manquent par ailleurs. De par sa brièveté qui impose des modes de distribution et de circulation alternatifs aux circuits classiques, le court-métrage se présente en effet rarement de manière isolée, indépendamment de films d’une durée proche, selon des recoupements variables. Et lorsque l’occasion se produit, ces rapprochements sont souvent sources de découvertes ou de confirmations, le court-métrage étant aussi un vaste champ d’expérimentations narratives et esthétiques.
Les modalités de diffusion de ce programme diffèrent cette année. Contrairement à 2008, il a été construit selon des proximités thématiques et non géographiques. L’organisation par continents a laissé place à une volonté d’excéder la nationalité de chaque film pour déceler les correspondances et résonances, évidentes ou plus discrètes, entre les œuvres. L’ambition est ainsi d’en relever certains enjeux ou aspects récurrents, de les faire dialoguer, pour effleurer quelques préoccupations dominantes des cinéastes attachés à ce format. Dans cette perspective, se dessine aussi un état de santé des cinématographies d’Amérique latine, d’Afrique et d’Asie, en tout cas leurs faiblesses et surtout leurs forces actuelles, tels le dynamisme du cinéma d’animation mexicain, la vitalité du jeune cinéma coréen, ou encore la réjouissante inventivité du cinéma sub-saharien. Ce dernier point, notamment, est attesté par la mise en avant de deux films ayant bénéficié du Fonds d’Appui à la production de Courts-métrages en Afrique Subsaharienne (FACMAS) créé par le Ministère des Affaires Etrangères et Européennes, et que l’Association Les 3 Continents gère depuis trois ans : Un transport en commun de Diana Gaye (Sénégal) et Olweny de Caroline Kamya (Ouganda).
Continent Courts prend ainsi deux directions. La première mène à un ensemble de films retraçant des Cheminements géographiques ou mentaux, individuels ou collectifs. La polysémie que cet intitulé revêt, ainsi que ses nombreuses connotations, inscrivent partiellement cet axe dans une continuité avec la programmation faite à l’occasion de la dernière Longue nuit du court, en juin 2009, par l’Association Les 3 Continents, composée exclusivement de films d’animation, sur le thème de la solitude, ici reformulée de façon ouverte et étendue. Repérer l’animation issue de territoires où elle est en pleine émergence, comme la Corée ou Taïwan, en est une des composantes. La seconde direction engage à discerner des films travaillés par la question de la Mémoire, très directement ou à leur périphérie, apparente selon des modalités changeantes. Ces deux lignes de programmation concèdent inévitablement des convergences, des nuances ou des renvois.
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Conduisant ses protagonistes d’un point à un autre, Un transport en commun illustre sans équivoque l’idée de cheminement, plus encore celle de trajet. Road-movie à la mise en route retardée, c’est aussi une comédie musicale africaine (fait particulièrement rare pour être signalé), fondée sur des moments chantés et dansés comme relais narratifs et progressées de l’intrigue. Ailleurs, les périples sont empêchés, limités dans leur envergure, voire annulés. Mais leur cantonnement à l’état de projet se fait à la faveur d’une modification du champ des possibles chez ceux qui s’en voient privés, qu’ils soient jeunes adultes coréens, faussement losers (Daytrip) ou épouse malaisienne aspirant à tout recommencer en optant pour la destination la plus éloignée sur la Terre (Everyday everyday). Dans Olweny, la mutation est symbolique, décrivant le passage d’un enfant à la période adulte par l’intermédiaire d’un rite initiatique. Le voyage peut également prendre la forme plus allégorique d’une nécessité vitale d’accéder à l’Autre ou à une extériorité, au moins de s’en approcher (Solitude, Fuera de control), de le rejoindre même si cela implique une quête intérieure et de combattre ses démons (Invisible loneliness, Poisoning of light).
Migracion convoque les registres de l’autobiographie et du home movie pour questionner à une échelle plus large les déplacements de la population colombienne vers les Etats-Unis. Le passage de la situation individuelle à des rapports culturels, historiques et politiques est dans Me broni ba habilement gouverné par un système de raccords, de collages et de vignettes, guidant le regard des salons de coiffure de Kumasi (Ghana) et de leurs fantaisies capillaires vers certaines incidences du colonialisme européen en Afrique. Audacieux et ludique, Me broni ba est assurément l’une des propositions les plus singulières de Continent Courts cette année, et emblème de la transition répandue du singulier au pluriel, de la sphère intime à la géopolitique, dans les films sélectionnés. C’est sous une tournure plus fétichisée et déroutante que la mémoire organise le récit de Te amo y morite, tant l’objet des louanges adressées en voix off reste longtemps indistinct. La permanence de la parole trouve comme contrepoint un long silence dans la majeure partie d’Inutile paysage, pour intégrer subitement une atmosphère musicale décalée et portée par la figure de Bob Estrela. La nostalgie sensible dans ces deux films dirigés par de jeunes réalisatrices sud-américaines brouille aussi les bornes temporelles et l’agencement de la narration classique. Et Sektou, Ils se sont tus oblitère l’emprise du réel par des interférences oniriques, créant un monde où les repères tangibles se délitent, un monde dont l’activité permanente, régie par de micro-interactions, dessine aussi le portrait de l’Algérie urbaine d’aujourd’hui. Documentaires ou fictions, en provenance de contrées diverses, ces quatre films soumettent chacun à leur façon un état du contexte qui les a fait naître, extensible à des interrogations plus amples sur le monde qui s’en saisit.
Carole Jouani & Nicolas Thévenin