La particularité de ce programme est de ne plus être tenu à la monographie, vouée à une cinématographie nationale, à une période ou à un auteur. En délaissant les découpages usuels pour une interrogation thématique, nous avons souhaité faire résonner sur une autre échelle temporelle et géographique les enjeux qui parcourent ces films en les plaçant sous un seul et même ciel dont Manoel de Oliveira dit qu’il est l’unique certitude de l’Histoire. Gilles Deleuze, dans une conférence donnée à la Fémis en 1987, évoquait l’existence d’un lien mystérieux entre l’oeuvre d’art et les luttes des hommes. C’est bien connu, le cinéma s’est souvent trouvé impliqué dans la situation politique de son époque qu’il ait été contraint ou libre de son engagement. À la fois producteur d’images et vastes répertoires, nous entretenons à travers lui une capacité à reconnaître le passé, à nous insinuer dans la trame des gestes et des paroles ordinaires comme dans celle des grands événements. Le cinéma mieux qu’aucun autre art nous donne le sentiment de nouer avec ses spectateurs une relation esthétique et historique, on pourrait même dire qu’il s’agit d’une vertu ontologique.
Les films de « Politiques du Cinéma » évoquent pour la plupart des combats, des résistances, des révoltes, des scissions, des cris, des espoirs et des inquiétudes, véritables ou imaginées. Chacun à leur manière, ils touchent à un réel, immédiat ou distant, qui est aussi celui de la politique, ou d’une politique, alors que l’on sait celle-ci inconstante quel qu’en soit le mode : totalitaire, révolutionnaire, parlementaire… Mais le rapport que le cinéma organise à ce réel qu’il partage avec la politique se définit par la capacité d’invention de l’art, de la mise en scène pour ce qui est du cinéma. C’est en conséquence sous le jour des possibles (et non sous celui d’une instrumentalisation du cinéma par la politique) que nous envisageons la mise en relation des deux termes. Ainsi nous nous demanderons ce que peut le cinéma et sous quelle forme le sens du mot « politique » s’y fait entendre. Peut-être, en retour, ces expériences éclaireront-elles la nature du lien mystérieux qui tient les aspirations des hommes et l’oeuvre d’art sur le terrain de l’Histoire ? Dans Le Musée imaginaire, André Malraux avance sur ce point une belle idée : l’oeuvre d’art est la seule chose qui résiste à la mort. Un drame aux colorations fordiennes sur la révolution zapatiste du réalisateur Fernando de Fuentes, la verve de l’agit-prop cubain de Santiago Alvarez, le tracé imprévisible aux confins du film noir et du fantastique d’Invasion d’Hugo Santiago, la mise en transe des illusions politiques sud-américaines par Glauber Rocha, la version officielle de l’histoire prise à revers par une fille de bar chez Imamura, la vie d’une troupe de théâtre populaire ayant pour mémoire la partition du Bengale… Si rien ne détermine a priori le cinéma à s’immiscer dans le politique, nous pourrons à travers ces films mesurer le caractère précieux pour la pensée de ses interventions. Et, par rebond, nous demander ce qu’il en est aujourd’hui.
Jérôme BARON