L’édition 2011 marque le retour dans la sélection officielle du Festival des 3 continents d’une variété de ton et de style qui s’était estompée les années précédentes au profit d’un rapprochement souvent fécond entre documentaire et fiction.
Sans que cela ait été un choix a priori, les dix longs-métrages de la compétition internationale sont tous des fictions. Certains étayent leur rapport au réel par l’emploi d’acteurs non-professionnels, comme Girimunho de Helvecio Martins Jr. et Clarissa Campolina. Mais dans d’autres, l’immédiateté confondante de l’image haute-définition lance volontiers le spectateur sur un réalisme qui relève de la fausse piste. Ainsi la teneur documentaire du décor réel de Fable of Fish d’Adolfo Alix Jr. fait l’objet d’une amusante queue de poisson quand le naturalisme attendu cède le pas à la fable.
Le retour en force d’une ardeur dramatique se traduit dans la compétition de cette année à la fois par des films au découpage audacieux (les récits comme coupés en deux de Policeman de Nadav Lapid ou de Hoy no tuve miedo de Iván Fund, les strates parallèles qui s’ouvrent dans P-047 de Kongdej Jaturanrasamee), et par le revival intelligent de genres établis (le film de sabre dans The Sword Identity de Xu Haofeng, qui signe lui-même les chorégraphies des combats).
Pour autant, la fiction fonctionne d’autant mieux qu’elle s’ancre dans un rapport fort à des lieux existants, que leur filmage ne se contente jamais de refléter platement. Forêts végétales et urbaines de Chatrak (Vimukthi Jayasundara) et de P-047, fleuve qui traverse le village aride de Girimunho, agglomération alvéolaire et mines clandestines de People Mountain People Sea du Chinois Cai Shangjun : ces paysages restent longtemps en mémoire même quand, le film vu, les détails du récit s’effacent. Leur pouvoir de fascination, leur solidité immémoriale n’étouffe pas la violence qui, cette année encore, s’invite sous de multiples formes dans les films : violence sociale et mafieuse insensée (les gangs mexicains de Miss Bala de Gerardo Naranjo), la révolte dans le corps et dans la langue de l’éplucheuse de crevettes de Sur la planche de Leïla Kilani), violence familiale (dans le décor apparemment feutré des Vieux Chats de Sebastian Silva et Pedro Peirano), violence d’Etat enfin à travers les guerres civiles de Flying Fish de Sanjeewa Pushpakumara et d’El lugar mas pequeño de Tatiana Huzeo.
Mais à cette dureté omniprésente des situations répond une liberté formelle précieuse qui s’en trouve comme décuplée : il n’est que d’écouter le flow politique du hip-hop des jeunes ouvriers de Saudade ou de voir la façon dont Honey Pu Pu de Chen Hung-I joue avec les (et se joue des) nouvelles technologies pour s’assurer que le cinéma vibre d’une énergie et d’une détermination renouvelée par cette âpreté même du présent. Comme le héros de Cut d’Amir Naderi, qui, le corps endolori, use de ses films préférés comme d’un baume en les projetant sur sa peau, nous avons le sentiment que cette 33ème édition, par-delà tous les dérèglements du réel, prend le pouls d’un art vivant, jamais vaincu.
Charlotte GARSON et Jérôme BARON