Hier comme aujourd’hui, aux 3 Continents, jamais la teneur sociale ou sociétale des films montrés n’a été en contradiction avec leur appétit fictionnel ou leur invention formelle. La capacité de réajustement de la vue, du regard et de la mise en scène s’ajuste au contraire aux évolutions conjoncturelles, dans un cinéma qui ne se contente jamais de « refléter » la réalité. Au sein de notre sélection 2012, ces deux dimensions cohabitent à travers des tensions paradoxales. Cette forte présence des réalités du monde actuel dans des œuvres exigeantes techniquement et esthétiquement prend des formes aussi variées que surprenantes : architecture glaciale d’une grande ville brésilienne revisitée à travers la structure chorale de O som ao redor ; écho de la condition des Indiens du Mexique dans le western Rio de oro, dont l’action est pourtant située au 19ème siècle ; vie et mort d’un type de chant traditionnel chinois à travers les aventures amoureuses du héros de The Love Songs of Tiedan… Dans le sillon de Girimunho, doublement primé l’année dernière au F3C, nous dirons de la démarche autobiographique du Rite, la Folle et Moi et de Memories Look at Me ou de l’onirisme de Mai Morire qu’ils rencontrent une veine ethnographique, à l’œuvre également dans deux des films argentins de la sélection, Beauty et Germania. Pourquoi ? La question est abordée de front dans I.D., film indien de Kamal K.M ; le monde semble clivé précisément là où les structures sociales sont soumises à l’épreuve du contemporain : phénomène d’acculturation, relations entre les classes, filiation contrariée, personnes déplacées, projection de soi empêchée…
Il faut dire que le réel s’invite aussi en amont, et de manière parfois violente, dans la production des films. Il est des pays dans lesquels tourner demeure risqué : l’Iran, dont It’s a Dream rappellera les films les plus connus d’un Jafar Panahi ; mais aussi l’Arabie saoudite, où la réalisatrice de Wadjda a dû ruser pour éviter les agressions machistes lors de tournages en extérieurs à Riyad. Dans des sociétés qui échappent à ces situations extrêmes, l’adversité a le visage de la crise économique. Témoin le grand Kiyoshi Kurosawa, dont la série Pénitence sera présentée en séance unique. Malgré le succès national et international de Tokyo Sonata, il a toutes les peines du monde à voir aboutir son prochain projet de cinéma. Au sein de la compétition 2012, Théâtre, le documentaire-fleuve que signe un autre Japonais, Soda, résume à lui-seul la nécessité de tenir ensemble création individuelle et rattachement à la société, à laquelle – au bout du compte – toute œuvre se destine. Ce portrait d’Oriza Hirata, maître du théâtre contemporain japonais, montre à la fois le travail de l’artiste et, dans une deuxième partie, sa bataille pour décrocher des subventions et plus généralement, pour faire exister un projet éducatif intégral – création, pratique et enseignement du théâtre – sans pour autant se laisser dévorer par le « système ». Un festival de cinéma – qui encourage modestement mais avec détermination l’étape de création des films à travers un atelier comme Produire au Sud – ne pourra que se reconnaître dans une telle ambition de transmission. Nous espérons que le public, une fois encore, saura partager avec nous le plaisir de ces découvertes.
Jérôme Baron et Charlotte Garson