L’invention du cinématographe, en 1895, émerge au point de convergence de deux tracés significatifs du XIXe siècle. Un premier mouvement, d’ordre structurel, est lié au développement industriel (regroupement, sous l’autorité du capital, des moyens techniques de la production et de la main d’œuvre) et à l’urbanisation nécessairement accélérée qui en découle. Un second mouvement, plus anarchique dans sa course, Michel Foucault le désigne comme « une frénésie neuve des images », serait entre autres mobiles conduit par un désir incompressible de faire entrer le mouvement dans les représentations et, bientôt, chez Bergson, dans la pensée. Il sera frappé par un premier grand bouleversement, l’avènement de la photographie, image fixe et reproductible, analogon dont l’exactitude mécanique provoque les définitions admises du réalisme et préfigure un mode de déplacement immobile dont le cinéma sera l’aboutissement.
À l’intersection de ces tracés simultanés, notre mémoire ne sera donc point étonnée de rencontrer une des premières vues filmées par les Frères Lumière, la mythique sortie des ouvriers de l’usine familiale de Lyon. Nous pourrions aussi, avec la même suite dans les idées, dire l’histoire de ce petit coin ensoleillé de Californie où d’autres usines, dans une échelle que nos deux frères auraient eu peine à imaginer vingt ans plus tôt, feraient naître une ville, Hollywood, dont les dimensions ne sont mesurables qu’à l’échelle de l’imaginaire tout entier du siècle dernier et sûrement d’une portion non négligeable de celui que nous entamons. Entre technique, industrie et imaginaire, entre ville et cinéma, se noue une féconde relation d’historicité qui dessine une des grandes aventures réflexives des sociétés lancées (sans le savoir) sur la voie d’une urbanisation planétaire. Le XXe siècle réalisera ainsi, jusqu’à l’excès, l’accomplissement du monde industriel amorcé par le précédent pendant que le cinéma atteste sous des formes multiples de l’évolution de ces réalités dans un spectacle machiné qui séduit les foules urbaines…
Lire la suite
Jérôme Baron