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Les théâtres de mémoire de Rithy Panh : un cinéma du temps présent

Faire œuvre. Qu’est-ce à dire ? En premier lieu, que si nous pointons notre regard sur le vaste horizon du cinéma contemporain, il s’est encore élargi depuis le passage au numérique, nous voyons encore des films nous faire signe, un temps parfois, durablement pour d’autres. En second lieu, que plus rares sont devenus ceux qui inscrivent dans leur succession la place d’un cinéaste dont on est tenté de dire qu’il fait jalon, nous enjoignant de (re)penser à partir de ses propositions ce qui relève tant des fonctions que des possibles du cinéma. C’est parmi elles qu’il nous faut situer l’œuvre de Rithy Panh, le défi, la nécessité, colossale, d’avoir à fabriquer le récit historique de la réalité du génocide cambodgien perpétré par les Khmers rouges entre 1975 et 1979. Lui, un survivant, assigne avec une inlassable détermination à son cinéma le dessein de détailler, révéler, nommer, comprendre l’infernale organisation de la machine de mort, sa logique, ses rouages, ses résolutions pragmatiques, sans appel. Si l’œuvre n’est pas achevée, elle est récemment traversée par une nouvelle inflexion, une de plus, laissant poindre avec sobriété le récit personnel, l’espace d’un « je » biographique, dans une proximité insécable avec les morts, ceux que la force de son cinéma, contre l’oubli ou la révision, a déterré pour les rendre à leur humanité broyée et à une sépulture dégagée de l’anonymat du nombre. C’est à ce point précis de sa trajectoire, celui de la publication de L’Élimination (2011) co-écrit avec Christophe Bataille, de la réalisation de L’Image manquante (2013) et du récent Exil (2016), que nous nous proposons de faire avec Rithy Panh retour sur ses films, fictions – nous les oublions trop souvent -, et documentaires. Nous plaçant sur la ligne de partage qu’ils ont su forger entre les mots et les images, ou leur absence, le passé et le présent, les vivants et les morts, imagination et pensée (sont-elles dissociables?), nous interrogerons les états d’une recherche obstinée et ses expressions. Dans Qu’est-ce que le cinéma ?, André Bazin postule que le cinéma est le seul art capable de montrer le passage de la vie à la mort. Dans ses théâtres de mémoire, où des présences passées regagnent sur l’horizon des vivants un savoir qu’elles nous destinent, Rithy Panh réussit, lui, à redonner la vie. Ou, comme l’eût dit André Malraux, à rappeler que l’art est la seule chose qui résiste à la mort.

Jérôme Baron
En collaboration avec l’Institut d’Histoire du Temps présent/CNRS.

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