À chaque année ses intonations, ses couleurs, ses points de basculement et ses révélations. Ainsi, nous sommes naturellement tentés de regarder cette 39e Compétition Internationale des 3 Continents à l’aune des éditions précédentes mais aussi de rapprocher nos choix de l’année des films toujours plus nombreux vus ici et là. Notre regard s’aventure sur le terrain de la comparaison, mobilise la mémoire, cherche des liens entre les œuvres, distingue des tendances qui s’affirment quand d’autres s’estompent.
La variété des esthétiques offertes par cette sélection 2017 semble pointer une discrète réticence à certaines des orientations les plus marquées du cinéma contemporain. On en déduira qu’elles ont été par contraste laissées de côté. Nombreux sont les films qui, sous prétexte de se confronter à la réalité, ne parviennent au mieux qu’à s’y heurter, impuissant à relever le défi de l’art d’en être une mise à l’épreuve transcendante, condamnant leurs personnages à n’être que les passagers en sursis d’un monde offert à tous les égarements. Un pan important du cinéma présent procède dès lors d’un effet de loupe aveuglant, ce grossissement devenant… sa seule fiction. Nous lui préférons une aptitude à varier sans limite les échelles, à s’ouvrir au hors-champ, à nous prendre au plaisir de sa fable, à le voir douter de lui-même pour mieux se ressaisir de ses énergies. À l’opposé une certaine tendance au repli voire à la déclamation « auteuriste », au ronflement de pure forme, s’est imposé comme réponse symptomatique à l’impénétrabilité d’un réel pourtant filmé par toutes les caméras. Une première ligne de défense prétendait ainsi se dessiner, substituant le mot dispositif à celui de mise-en scène, jugé obsolète, où le concept venait faire sa réclame sur tous les écrans. Dans la plupart des cas, les vitesses de la « révolution » numérique n’avait peut-être que l’âge de leur temps et la machine à histoire moins nettement le cœur au récit.
Depuis cet horizon, les huit films de cette compétition 2017 nous ont sans doute d’abord fait signe en exprimant chacun à leur manière un désir d’aller au-delà d’une situation initiale, de ne pas se replier sur des inquiétudes en accordant à leurs personnages une chance d’écrire leur pan de fiction. Sans ne plus subir ni l’injonction d’un scénario tout-puissant ni celle d’une mise-en-scène arque-boutée sur son autorité, les films semblent mués par l’intention d’offrir une chance au récit, de redonner de l’éclat au vivant, le soustraire à l’anonymat ou à l’effacement. Pour cela, on peut même aller jusqu’à convoquer l’hypothétique et ultime recours du magique pour assurer sa survivance, comme c’est le cas dans Les Versets de l’oubli. Mais il suffit souvent d’une simple impulsion pour faire consister ce possible : s’attribuer soi-même un prénom comme le décide Newton, faire corps avec amour et contre- tout dans The Brawler, amener la métaphore incarnée du cinéma (Jean-Pierre Léaud) vers un retour à l’enfance de l’art dans Le Lion est mort ce soir arpenter pour mieux les traverser les apparences dans Toublanc, substituer à son asservissement la conscience d’un devenir-femme dans Angels Wear White, vouloir fêter avant l’heure son anniversaire pour être certaine de ne pas le manquer dans Adiós entusiasmo, ou à l’image de Dong dans Comme un cheval fou, tailler sa route et ne pas laisser la boucle, même celle du film, se refermer. Une sélection de huit films en forme de collection de gestes témoignant d’autant de manières de chercher à faire aujourd’hui du cinéma dans l’étendue de ce qu’il recouvre. Nous voulons gager qu’il reste encore au cinéma au moins autant à inventer qu’à reconquérir. Au risque souvent de se dissoudre dans plus grand que lui, il demeure, parmi la vaste reconfiguration en cours des images en mouvement, notre irremplaçable Antigone.
Jérôme Baron, directeur artistique
Aisha Rahim et Claire Allouche, programmatrices