En proposant lors de l’édition 2017 du Festival des 3 Continents de nous confronter à une question d’actualité, celle des exils contemporains, qui nous interpellait à travers une crise durable que nous avions pourtant eu le temps de voir venir, nous voulions ressaisir la capacité du cinéma à penser au pluriel et à mettre en perspective « un devenir étranger » qui nous semblait être le corollaire irréductible de cette situation. Comment le cinéma inventait-il un angle, des distances, des temps, des modes de récit, pour redonner à la condition d’exilé la résonance d’une expérience universelle de la destinée humaine ?
La première étape de ce travail, menée en commun avec un groupe de chercheurs dont l’implication auprès du festival s’est déjà révélée en d’autres occasions (notamment autour d’Il y a 50 ans la Tricontinentale se tenait à Cuba et des Théâtres de mémoire de Rithy Panh), nous a conduits à prolonger la réflexion à travers une programmation dirigée vers les jeunes publics du Festival des 3 Continents. D’abord parce que les enjeux politiques, historiques et sociétaux liés à la multiplication des contextes provoquant des flux migratoires massifs, contraints et prolongés, ne sont en aucun cas séparables des transformations de notre monde et son alignement sur un modèle de développement qui s’est imposé à l’échelle mondiale. Ensuite parce que nous voulons croire que l’art forge ses propres idées, autonomes, et propose encore des contre-représentations à l’étau des images médiatiques et aux orientations des discours des États. Les oeuvres, parmi lesquelles celles du cinéma, inventent depuis l’expérience vécue des modalités du sensible, d’autres formes d’attention et de compréhension. Dans une situation d’incertitude économique chronique, nous postulons que les convulsions actuelles posent à nos sociétés occidentales l’urgence d’un examen renouvelé des relations Nord-Sud. Elles nous invitent aussi, et nécessairement, à relire notre histoire récente (celle du siècle écoulé tout entier) et à questionner, lorsqu’il est question d’accueillir et d’offrir l’hospitalité, la perdurance des valeurs d’universalité que nous prétendons ériger en principe. Le philosophe Étienne Balibar faisait récemment le constat amer que l’état de notre monde mine de l’intérieur tout discours à prétention universelle : « L’universel ne rassemble pas, il divise ». Au point de faire de la violence une option réitérée dans la réponse de nos institutions à la détresse humaine ?
Nous voulions surtout graviter encore, librement, autour de la notion de frontière, ouvrir sur une géographie humaine, intime, comme donnée particulière plutôt que générale. La capacité des images à se jouer des attentes, des distinctions et des registres éclairerait ainsi les lignes de divisions qu’il nous faut penser. Entre documentaire et fiction, entre théâtre et cinéma, entre direct et reconstitution, entre action et pensée, nous rencontrerions une autre opportunité de décloisonnement. Un programme que nous souhaitons donc projeter comme une expérience de notre propre aptitude à dépasser ce qu’on nous donne à voir, à passer nous-mêmes de l’autre côté de cette frontière du visible qui sert de clôture à notre regard.
Jérôme Baron