D’abord indifférents les uns aux autres, les films de la compétition sont rapprochés presque malgré eux. Nous avons été, le temps d’une année de recherches patientes et curieuses, parmi leurs premiers spectateurs. Nous les avons discutés. Rarement été tentés de les comparer. Surpris surtout de nous voir chacun construire avec eux, par-delà l’enthousiasme de la découverte, une relation autrement passionnée, les laissant prendre une place dans notre maison avant d’en ouvrir plus grand les portes.
On ne sait jamais jusqu’où un film nous emmène.
Ce petit détour, succinct, du côté des étapes de la fabrication de la sélection n’est pas gratuit. Le temps, son étirement, ses contractions, ses accélérations, la finesse de ses plis, involontaires, précis ou souples, plutôt que le propos ou la structure de ces films, est ce qu’ils consignent, le signe commun de leur appartenance au monde, un point de ralliement non répertorié aux présences déliées qu’ils offrent à notre regard.
Non pas qu’aucun d’eux se désintéresse de l’espace, ils embrassent la diversité des topographies de notre monde : ici des îles, ouvrent là une porte dans le désert, nous plongent dans une ville et plus particulièrement une rue, voyagent vers un village natal, regardent la steppe sans horizon, descendent un fleuve crépusculaire, zigzaguent dans un barrio, découvrent même une maison dans les arbres…
Mais ce qu’ils mettent en mouvement, poussant la tentation jusqu’à le faire depuis le futur et une autre planète, ce sont précisément les modalités d’une apparition du temps comme accroc, accident, irrégularité. Ces incidents nous rappellent au sentiment poignant de l’existence, à la sensation troublante de ne jamais tout à fait savoir si l’écoulement du temps nous rapproche ou nous éloigne des choses. C’est ce que suggère notamment La Femme des steppes, le flic et l’œuf.
Le temps n’est pas au cinéma la trace de ce qui est passé mais plutôt son envers, l’hypothèse sensible de ce qui pourra rester présent : temps suspendu du travail des Piqueuses de l’île Rodrigues ; temps d’arrêt où la parole tutoie un vaste hors-champ depuis le 143 rue du Désert ; temps ralenti, ouvert au vertige dans N°7 Cherry Lane ; attente sans fin ni début du retour d’un fils à l’heure où s’annonce la saison des kakis (When the Persimmons Grew) ; lutte acharnée d’un père contre les courants d’un fleuve et les violences de l’Histoire (The Valley of Souls) ; temps plié et déplié comme un ressort faisant de la mémoire vietnamienne une science-fiction (The Tree House) ; temps qu’il faut pour découvrir ce que les apparences cachent afin de mieux juger la hauteur de la vague (Height of The Wave) ; temps de l’action où, Au cœur du monde, on veut encore croire que la fin n’est pas jouée d’avance. Le temps est un nombre.
Sans le savoir, le cinéma en faisait la révélation dès sa première heure.
De sa nuit surgissait le jour. Et ses nuits restent aussi intenses que nous voudrions voir nos jours le devenir.
Jérôme Baron
Directeur artistique