La formation proposée par Produire au Sud depuis 2000 ne garantit pas que les projets de films sélectionnés se réalisent mais l’atelier prête une attention soutenue au devenir des scénarios et des professionnels qu’il a choisi d’accompagner. 35% des projets retenus tout atelier confondu, soit environ 140 depuis 2000, sont devenus des films et dans de nombreux cas ils ont connu une belle carrière internationale, parfois même et de plus en plus régulièrement une distribution en France.
Un certain nombre d’entre eux parvient seulement à trouver un financement national (pas toujours suffisant) quand les pays d’origine sont a minima structurés autour d’un système d’aides ou par une certaine activité de l’industrie cinématographique locale. Dans d’autres cas, c’est la créativité, l’obstination des producteur·trice·s et des réalisateur·trice·s qui permettent de contourner un budget modeste pour faire de cette contrainte ou d’autres un levier original de création. Le film philippin de Shireen Seno Nervous Translation, l’argentin Los Labios (Les Lèvres) ou récemment encore le taïwanais The Teacher sont de parfaites illustrations d’un modèle local de production suivi pour les films par une reconnaissance internationale.
Pour des films produits via les voies possibles de la coproduction internationale, incluant les temps du développement du scénario et la maturation de la stratégie de production, le temps de fabrication d’un film peut être très variable. Il peut aller jusqu’à six ou sept ans, plus parfois. Un des deux films thaïlandais de cette rétrospective, Manta Ray, a exigé huit ans de gestation entre sa sélection à Produire au sud – Nantes en 2011 et sa première mondiale à la Mostra de Venise en 2018.
L’urgence à filmer peut a contrario être exprimée très ouvertement par certains réalisateurs lors d’ateliers. Elle peut s’avérer une variable non négligeable et déterminer une certaine impatience des réalisateurs et producteurs face à la démarche plus patiente de la coproduction internationale. Le besoin de filmer vite peut être déterminé par de multiples facteurs et faire du geste de réalisation une obligation vitale selon la situation sociale et politique des pays où se tournent les films, les histoires intimes aussi que vivent ces jeunes réalisateurs, ces deux aspects des choses trouvant parfois être entremêlés.
Cette rétrospective « 20 ans de Produire au Sud » tente de refléter un large spectre de processus de fabrication et de rendre compte d’une certaine élasticité des arcanes de la coproduction. Mais pas uniquement. La diversité artistique, intrinsèquement liée à celle de la production, demeure la préoccupation majeure des sélections de projets de Produire au Sud, et trouve à s’illustrer à travers toute cette rétrospective. Même si les effets pervers de la globalisation n’empêchent pas toujours un formatage des contenus et des formes, l’échantillon de films offert ici témoigne d’un panel d’esthétiques, de sujets et de manières différentes d’empoigner la question du récit. On y trouve six premiers films, dont le vénézuélien El Amparo (2016) et le kazakh Les Petites Gens (2003).
Vertiges (2009), Paraiso (2009), Les Initiés (2017) ou même Salamandra (2008) puisent les forces de leur récit dans une captation quasi-documentaire des personnages et des lieux où le contexte socio-politique agit comme élément narratif à part entière. L’échelle d’une communauté, d’un quartier, d’un territoire ou même d’une famille devient la substance des film, leur catalyseur, que la mise en image maîtrisée permet de saisir et penser. Un havre de Paix (2018), Whisky (2003), Les Gants magiques (2003), Gigante (2009) ou encore A Alegria (2010) qui flirtent chacun à sa façon avec l’idée de film de genre, proposent un sujet qui exige un véritable engagement sur la structure narrative. On y esquisse les contours d’un possible huis-clos, d’un quasi-thriller, d’une comédie à l’humour triste… Leur esthétique singulière relève d’une suspension de codes parfaitement compris.
D’autres films de cette rétrospective s’imposent avec un récit et une écriture insaisissables, fascinants. C’est le cas de Blissfully Yours (2001) et de La Niña Santa (2004). Leur force, leur ambivalence, leur style tiennent sans doute à une identité visuelle où le regard transcende la trame narrative et tire littéralement le film aux bords de l’expérience cinématographique.
La mention de ces deux derniers titres est l’occasion de souligner les noms que les ateliers Produire au Sud ont contribué à révéler et diffuser depuis 2000. Lucrecia Martel et Apichatpong Weerasethakul ouvrent une liste internationale de réalisateur·trice·s prestigieuse, avec Martin Retjman, Pablo Stoll, et Pablo Aguero. Au-delà de cette sélection de 18 films, s’ajoutent les noms d’Anocha Suwichakornpong, de Mikhail Red, de Celina Murga, de Pablo Fendrik ou encore de Danielle Arbid. La liste des producteur·trices passé·es par les ateliers PAS est tout aussi remarquable puisqu’elle rassemble de fervents acteurs de la production mondiale : Vania Catani, Pimpaka Towira, Bianca Balbuena, Soros Sukhum, Daniel Garcia, Kobi Mizrahi, James Tayler, Marianela Illas, Enid Campos, Fernando Epstein, Bruno Bettati, Altynai Koichumanova, Shyam Bora, Patrick Mao Huang entre autres.
Outil de veille, incubateur bienveillant, Produire au Sud prend le pouls des envies face à l’environnement fluctuant et global de la production cinématographique mondiale, détectant souvent l’apparition ou le déplacement de certaines dynamiques mais aussi certains affres, menaces ou insuffisances sans bien sûr prétendre y remédier. Art vivant, le cinéma est, même contre, une image des conjonctures socio-économiques et politiques qui agitent et façonnent le monde. Ainsi cette rétrospective est pour moitié composée de films d’Amérique latine, très prolifique lors la première décennie de Produire au Sud, et alors portée par des plateformes et des marchés plus foisonnants qu’aujourd’hui.
Zinder de la nigérienne Aïcha Macky, qui fera l’ouverture de cette édition du festival, se distingue comme unique documentaire de cette sélection. Depuis 2000, et jusqu’en 2017 et le récent partenariat avec le FIDADOC d’Agadir, les ateliers Produire au Sud sont principalement restés ouverts aux longs métrages de fiction.
Guillaume Mainguet