Festival 3 Continents
Compétition internationale
47e édition
21>29 NOV. 2025, Nantes

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Safi Faye, lettres africaines

Cinéaste pionnière et première femme d’Afrique subsaharienne à réaliser un long métrage (Lettre paysanne, 1975 – Prix Georges Sadoul et Prix de la critique au Festival de Berlin), Safi Faye s’est éteinte en février dernier, au moment même où le Festival des 3 Continents s’apprêtait à l’inviter à présenter l’intégralité de son travail à Nantes. Formée à l’ethnologie à l’EHESS puis à l’école Louis Lumière, elle quitte son poste d’enseignante pour se consacrer au septième art après avoir rencontré Jean Rouch qui lui confie un rôle dans Petit à Petit. Autrice d’une œuvre à la forte empreinte documentaire, Safi Faye saisit les outils du cinéma non seulement comme ceux d’une possible émancipation féminine, sociale et coloniale mais aussi pour rendre à une tradition orale, gestuelle et terrienne sa force et son histoire. Cinéaste fidèle à son Sérère natal, Safi Faye est l’incarnation pleine et entière d’une africanité face aux défis de son temps.

Editorial – Safi, son œuvre

Cette rétrospective consacrée à Safi Faye aura lieu, hélas, en son absence. La cinéaste sénégalaise s’est éteinte le 22 février dernier, à 79 ans, alors que nous nous apprêtions à l’inviter à Nantes pour présenter ses films au Festival des 3 Continents. Ne cachons pas les difficultés que nous avons éprouvées à monter cette rétrospective. Nous ne sommes pas en mesure de présenter près de la moitié des titres composant la filmographie de Safi Faye, parce que les films sont aujourd’hui invisibles, les copies en état de conservation fragile, difficiles d’accès, voire introuvables ou perdues. Cette invisibilité appelle plusieurs commentaires.

Depuis quelques années, les festivals du monde entier multiplient les rétrospectives en l’honneur de réalisatrices, les sélectionneurs visent la parité dans leurs compétitions et les jurys livrent des palmarès féminisés, tout ce petit monde donnant parfois l’impression de se livrer à une course effrénée à qui empilera le plus de noms. Ce phénomène, qui n’aura échappé à personne, est réjouissant en ce qu’il témoigne d’un souci bienvenu de diversité, et permet autant de découvertes ou de redécouvertes. Mais il interroge aussi. Programmateurs et sélectionneurs ne peuvent se contenter de montrer tous ces films comme ils le font, c’est-à-dire comme si de rien n’était. Comme si ces œuvres étaient soudain tombées du ciel dans leurs projecteurs et leurs catalogues, comme si les festivals avaient passé des décennies à les attendre. Non, ces films ne tombent pas du ciel, ils existaient. Car enfin, ces rétrospectives, pourquoi ne les a-t-on pas programmées il y a dix ou vingt ans ? Et comment les organiser aujourd’hui, selon quelle approche ? Ces questions s’adressent à notre festival comme elles s’adressent aux autres.
L’autre interrogation portée par la rareté ou la perte des films de Safi Faye nous amène vers la genèse des films. Safi Faye n’a pas été ignorée au début de sa carrière. Lettre paysanne (1975), son premier long métrage, est récompensé par plusieurs prix internationaux. Le suivant, Fad’jal (1979), est sélectionné à Cannes et Berlin. La cinéaste commence alors à imaginer une fiction qu’elle tournera dix ans plus tard, Mossane, lui aussi présenté à Cannes en 1996 (après bien des déboires de production) et qui ne trouvera le chemin des salles qu’en 1998. Mais que s’est-il passé entre ces deux bornes, qu’arrive-t-il à Safi Faye entre Lettre Paysanne et la rétrospective que lui consacre le Festival International de Films de Femmes de Créteil (dont il faut saluer le travail au long cours mené par sa fondatrice Jackie Buet) en 1998 ? Elle tourne des films institutionnels, des films pour la télévision, des films de commande, tous courts et très peu vus. Il ne s’agit pas de refaire l’histoire. Mais de constater que Safi Faye partage le destin de nombreuses réalisatrices redécouvertes récemment : un ou deux films novateurs, originaux, mais quelque chose qui ne s’enclenche pas en termes de production, de visibilité, et puis le refuge dans des formes plus courtes et moins onéreuses, sur des écrans plus petits, pour continuer à s’exprimer. Ce schéma-là, où le long métrage ressemble à un plafond de verre alors que la preuve du talent est là, interroge lui aussi, en tout point.

Née en 1943 à Fad’jal, un village sérère au sud de Dakar, institutrice, Safi Faye vient chercher dans le Paris de 68 les outils nécessaires à ce qu’elle appelle « la manifestation de son africanité ». D’abord l’érudition africaniste en étudiant l’ethnologie et l’anthropologie à l’École Pratique des Hautes Études. Ensuite les outils techniques du cinéma à l’École Louis-Lumière, qu’elle est la première Africaine à intégrer. Embauchée comme actrice par Jean Rouch pour Petit à petit (1970), elle réalise un court métrage, La Passante (1972). Puis, peut-être comme un écho au sentiment éprouvé au Festival des arts nègres en 1966 (« fascinée par tous ces Européens qui maîtrisaient ma culture, une culture que je n’ai pas apprise à l’école »), Safi Faye rentre au pays pour pratiquer un cinéma paysan et mythologique, personnel et politique. Ainsi naissent les très beaux Lettre paysanne (le tout premier long métrage réalisé par une femme d’Afrique subsaharienne) et Fad’jal, l’un penché sur la terre d’un village sérère pour une chronique des saisons, l’autre rêvant autour de l’origine mythique de ce même village. Une voix africaine, paysanne, s’est levée, une voix de femme, qui parle à la première personne.

Au début des années 1980, l’histoire de ce qui sera sa seule fiction, Mossane, commence à germer dans l’imagination de Safi Faye, mais le film naîtra bien plus tard. Comme en l’attendant, la cinéaste tourne des films de commande pour de grandes institutions telles l’ONU ou l’UNICEF ou des programmes de télévision internationaux, des films documentaires dont l’approche est profuse, généreuse et toujours attentive à la profondeur historique et politique des situations décrites. Ainsi de Les Âmes au soleil (1981) et Selbé et tant d’autres (1982) qui chantent le courage des femmes dans des tableaux resserrés de la vie au village, sans se départir de l’énonciation d’un contenu politique précis. Ainsi de Moi, ta mère (1980) dont le dispositif documentaire enjambe avec finesse et même une forme de légèreté les clichés des films sur l’exil. Ainsi du très inspiré Ambassades nourricières (1984), qui d’un prétexte quelque peu folklorique tire un émouvant portrait du siècle des exils, des guerres, des oppressions. Jusqu’à Mossane, le dernier film, où Safi Faye invente une tragédie de village autour d’une jeune fille si belle qu’elle en mourra.
Safi Faye, dit-on, était issue d’une lignée de chefs sérères. Et l’on se plaît à l’imaginer en lointaine descendante de Mbang Fad’jal, la mythique fondatrice du village de Fad’jal, s’emparant d’une caméra pour nous adresser une missive commençant par les mots qui nous accueillent au début de Lettre paysanne : « voici mon village, mes parents agriculteurs-éleveurs, ma grande famille… ».

Aisha Rahim

Lettre d’Anita Sankalé

Anita Sankalé est la cousine de Safi Faye. Elle vit à Nantes, et elle est venue au Festival des 3 Continents découvrir les films de Safi Faye, elle qui n’avait vu que Mossane en DVD il y a quelques années. Nous l’avons invitée à présenter avec nous la projection de ce même film, le 28 novembre au Cinématographe. Elle a choisi de lire ce texte. Nous la remercions chaleureusement de nous avoir accompagnés lors de cette rétrospective.

Ma cousine Safi était plus âgée que moi, j’étais plus proche de sa sœur Soukeyna hélas décédée il y longtemps. Safi elle nous a quittés cette année, elle aurait eu 80 ans le 22 novembre juste avant l’ouverture du festival. Décès subit pour ses proches :
« Maman est partie » a dit Zeina sa fille, à ses tantes ? Partie où ont-elles répondu…
Safi je l’ai bien connue à Dakar, lorsqu’elle était institutrice.
Elle vibrait d’énergie. Je n’ai appris son cursus ultérieur en anthropologie qu’il y a quelques années. La discrétion et la modestie étaient sa marque.
Je savais qu’elle était devenue cinéaste, mais je n’ai vu Mossane qu’il y a quelques années lorsqu’elle m’a envoyé le DVD du film pour une diffusion en comité restreint à la Maison de l’Afrique à Nantes.
Film merveilleux, fiction, qui décrit les traditions en pays sérère et plus généralement au Sénégal, dans les villages restés attachés à leur culture forte, qui souvent contraint les femmes.
Féministe Safi, on le voit dans chacun de ses fims.
Ici le mariage arrangé, auquel habituellement cèdent les jeunes filles, auquel la jeune, belle et rebelle Mossane refuse de se plier;
Cette semaine j’ai vu Lettre paysanne, Fad’jal, et Moi, ta mère.

Dans les deux premiers : poésie d’un film lent qui évoque la lenteur du temps qui passe dans les villages, mais aussi la solidarité, l’âpreté de la vie, les ressorts qui poussent les jeunes à aller chercher du travail. Des documentaires dont on ne ressort pas indemne, qui m’ont profondément rappelé mes racines maternelles sérères.

Dans le troisième film, Moi, ta mère, quelle émotion de voir jouer la mère, la sœur et le père de Safi à différents moments, notamment lorsqu’à la toute fin du film tante Sokhna dicte une lettre à sa fille Yvonne pour son fils étudiant en Allemagne;
Yvonne porte le prénom de ma mère. Elle m’avait prévenue de cette scène. J’en suis sortie très émue et Yvonne, ses sœurs, ainsi que la fille de Safi, me remercient de les représenter à Nantes et surtout vous remercient vous, public, d’être présent nombreux pour découvrir l’œuvre de leur chère Safi Faye.

Anita Sankalé

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